RENCONTRE AVEC OLIVIER KERAVAL

Cette rencontre a été faite à quatre mains. Elle est le fruit d’un partenariat avec Balades Armoricaines. En fin de texte, retrouvez le lien vers l’article complet.

On connaît Olivier Keraval comme scénariste, mais il cache bien des talents : Découverte d’un créateur



Bonjour Olivier. Pourquoi nous as-tu donné rendez-vous place du Calvaire ?

Olivier : Bonjour Hervé. Historiquement, la place du Calvaire est une place centrale dans Rennes et il y a un lien fort avec mon travail, que ce soit le scénario de bande dessinée ou dernièrement l’histoire sonore consacrée à l’incendie de 1720. J’y ai passé une partie de ma jeunesse. J’étais en primaire juste à côté, à l’école Saint-Yves. Il y a une pharmacie sur cette place, que mon père a tenue pendant des années. C’est donc une place que je connais bien, que j’aime ; elle est très belle et ça transpire le centre historique. 

Pourrait-on résumer ta carrière avec le mot « histoire » ? Que ce soit l’histoire de France ou les histoires que tu aimes raconter ? 

Olivier : Oui, effectivement, je travaille beaucoup sur une matière historique. J’y trouve souvent une matière forte, parfois de proximité comme Rennes, où j’ai plusieurs de mes sujets, ou la Bretagne… Et j’y mélange une histoire intime. L’idée, c’est de toujours avoir une partie fictionnelle et une partie historique. Cette dernière étant très cadrée. J’essaie au maximum de respecter les grandes dates et de ne pas faire n’importe quoi avec l’histoire. Mais oui, ça peut résumer mon travail.

Comment cette passion t’est-elle venue ? 

Olivier : C’est une bonne question. J’ai fait une faculté d’histoire, mais pourquoi ? Je ne sais pas. J’ai toujours été un grand lecteur de récits historiques, d’aventures, même très jeune. Mes auteurs étaient Alexandre Dumas, Victor Hugo, etc. Les grands classiques français qui ont joué avec l’histoire. On a une histoire fabuleuse en France mais l’histoire mondiale est aussi intéressante ; il n’y a pas que la France. Je suis toujours plongé dans des livres d’histoire et des récits d’histoire, plus que des fictions. Ça a toujours été en moi ; j’ai toujours aimé ça.

Tes écrits sont plutôt des récits policiers, voire des récits de polar, avec un côté social. Pourquoi écrire dans ce domaine littéraire  précis ?

Olivier : J’ai commencé par le polar mais je m’en écarte de plus en plus. J’écris plutôt des récits historiques maintenant, plus que du polar pur. J’aime bien la mécanique du polar. C’est une mécanique fantastique pour intéresser le lecteur et l’inciter à avancer dans le récit. Cette notion sociale du polar est très intéressante. Je trouve que c’est une littérature très vivante. Ça parle du quotidien des gens, de grands sujets sociétaux qui ont une vraie pertinence et le polar a pleinement sa place dans la littérature. On le voit bien aujourd’hui ; il y a plein d’auteurs de polars qui fonctionnent très bien et chaque éditeur a sa collection.

Le polar te suit hors des sentiers de la littérature, avec la société PLAYAD GAMES. Peux-tu nous en dire plus ? 

Olivier : PLAYAD GAMES, c’est un peu une parenthèse. J’ai un ami (Arnaud Ladagnous ndlr), qui crée des jeux de société depuis des années. Un jour, il me présente New York Kings, un jeu de mafieux new-yorkais, qui est à base de polar, encore une fois. C’est un super jeu mais il ne trouve pas d’éditeur. A ce moment, je suis dans une aventure éditoriale et je lui propose d’en créer une. C’est parti de là ; ça a grandi. On a publié quelques jeux qui ont correctement tourné. Mais je ne viens pas du jeu ; je ne suis pas un grand joueur. Ce qui m’a intéressé, c’était l’opportunité et l’envie de mener une création éditoriale.

Tu as écrit un roman historique, Quokelunde, dont une partie est publiée sur le site communautaire Wattpad.

Olivier : Quokelunde, c’est une œuvre de jeunesse. Je l’ai écrite quand j’avais entre 25 et 27 ans. C’est une histoire qui n’a jamais été publiée et elle n’a été envoyée qu’à peu d’éditeurs. Je considère encore aujourd’hui qu’elle est à retravailler. C’est un récit historique qui se passe au Moyen-Age, sur fond de trafic de reliques de saint ou supposé tel. Les seigneurs, notamment bretons, qui partaient en croisade, rapportaient avec eux ce qui était censé être des reliques. C’est un bouquin qui reste inédit. Je l’ai relu dernièrement et j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de faiblesses

Tu es écrivain mais aussi scénariste. Comment se retrouve-t-on scénariste ? 

Olivier : Je m’y suis retrouvé par opportunité, tout simplement. En 2011, je venais de terminer un polar et Luc Monnerais m’a contacté. Il a aimé mon livre et m’a proposé d’écrire une intrigue sur Rennes en bande dessinée. C’était les prémices des éditions SIXTO. Je n’avais jamais touché au scénario. Je n’étais pas non plus un grand consommateur de bandes dessinées mais j’étais curieux d’essayer. Je m’y suis mis et ça a donné Danse Macabre et j’ai aimé. Je trouve que la bande dessinée est un super vecteur pour toucher un public très large, de 7 à 77 ans, et bien plus … Je continue. J’ai la maison d’éditions LOCUS SOLUS qui aime mon travail et j’ai des projets à venir avec eux

Es-tu devenu auteur de bande dessinée ? 

Olivier : Oui, parce que ça marche plutôt pas mal et que j’ai toujours des projets, des idées qui viennent, que je travaille. J’ai toujours deux, trois projets d’avance. Le prochain sera dans un format un peu différent car ce sera un roman graphique. Il y aura plus de texte ; on sera plus proche d’un carnet graphique. J’explore une nouvelle piste.

Es-tu devenu lecteur de bande dessinée ? 

Olivier : Oui, j’en lis régulièrement. C’est vrai qu’en France, il y a de très bonnes bandes dessinées qui sortent. Je lis plutôt des romans graphiques. Ce sont des choses assez lourdes, assez longues qui prennent le temps (de raconter l’histoire ndlr). Le 52 pages (format franco-belge) est assez frustrant et j’aime bien les choses denses. Maus est pour moi quelque chose d’exceptionnel, qui raconte merveilleusement bien la Shoah avec une vraie densité historique. Dernièrement, j’ai aimé Moi, ce que j’aime, c’est les monstres. Je suis très admiratif des gens qui font ça et j’aimerais bien le faire un jour. C’est souvent une question de temps, la création, mais je suis très attiré par ce format-là qui demande un travail fou.

Pourquoi travailler souvent avec Luc Monnerais ? 

Olivier : Luc et moi, on se suit mais je lui ai fait une infidélité : je suis parti travailler avec Leyho (Un amour de guerre, aux éditions LOCUS SOLUS ndlr). Luc était occupé et ça ne lui correspondait pas. J’aime bien son travail, noir et blanc avec beaucoup d’architectures, mais il faut aussi des projets qui lui correspondent. Le prochain projet se fera avec Luc. Ça parlera d’un personnage historique, né à Rennes, lui aussi, dont l’histoire est méconnue et pourtant extraordinaire. Je n’en dis pas plus, c’est un peu tôt. J’ai un autre projet derrière, qui se passera encore en Bretagne, mais plus du côté du Finistère. Celui-là se fera avec un autre dessinateur.

Pourquoi avoir choisi Leyho pour Un amour de guerre ? 

Olivier : Nous nous sommes rencontrés sur le Salon du Livre de Paris. LOCUS SOLUS venait de rééditer son premier album, Chien Bleu, Chien Gris. Je trouvais qu’il avait un vrai univers et un sacré coup de crayon. Je lui ai parlé du sujet d’Un amour de guerre. Ça lui a plu ; on a échangé et très rapidement, l’éditeur nous a validé le projet. J’aime bien quand les choses se font naturellement mais c’est particulier de travailler à deux. Il faut avoir une confiance réciproque forte, un respect mutuel et une compréhension de l’histoire. Leyho avait tout ça. Il avait bien compris le sens du récit ; son coup de crayon pouvait apporter quelque chose et la couleur était une donnée essentielle. Ça s’est fait naturellement et on a bien bossé.

Tu dis t’intéresser à l’histoire de France mais tu cibles essentiellement la Bretagne et en particulier l’Ille-et-Vilaine.  Pourquoi ce choix, alors que tu as beaucoup voyagé ? 

Olivier : Pour le moment, je travaille beaucoup sur l’Ille-et-Vilaine parce que j’ai trouvé des sujets qui m’ont plus, que j’ai trouvés pertinents. C’est vrai que j’ai beaucoup voyagé et j’ai énormément de notes, de matière, dans les tiroirs, que je pense utiliser un jour, sous une forme historique ou autre. Ça viendra un jour, peut-être

Tu as permis la réalisation de plusieurs projets qui se démarquent : B-Sensory, les éditions SIXTO ou GOLIWOK PROD. Pourquoi de tels projets ? 

Olivier : J’aime bien avoir plusieurs aventures en parallèle. j’ai une grande difficulté à me contenter de ce que j’ai et il y a toujours des projets en cours. De la même manière, on a créé un festival du polar en 2016, La Vilaine était en noir, avec des partenaires rennais du milieu. Cette association existe toujours sous la forme de podcasts sur GOLIWOK PROD. Mais il y a toujours une cohérence éditoriale avec des récits, des fictions. Je n’arrive pas à me contenter d’une seule activité. J’ai besoin de challenges, de création.

Ces créations sont originales : une édition érotique couplée avec un sex-toy ! Une autre où chaque histoire se déroule dans une ville différente, et GOLIWOK PROD qui est une entité sonore. 

Olivier : Je suis mon instinct et les rencontres avec les gens qui y sont pour beaucoup. Il y a les opportunités comme PLAYAD, sur le jeu de société. Je n’ai pas peur de m’engager, de m’investir. Ce sont peut-être des projets originaux mais je ne l’analyse pas comme ça car je le fais naturellement. A l’arrivée, ça donne une aventure qui s’enclenche et j’ai la persévérance pour aller jusqu’au bout des choses. Ce ne sont pas de simples idées qui restent dans les tiroirs ; ce sont aussi des concrétisations. J’avance comme ça, entre la passion et la raison. C’est ma dynamique.

La dernière création se nomme GOLIWOK PROD. Comment est venue l’idée ?

Olivier : GOLIWOK PROD fait suite à l’aventure de B-Sensory, dont j’étais le directeur éditorial pendant presque cinq ans. A la suite de cette aventure numérique, j’ai eu envie d’en connaître un peu plus. J’ai refait un Master en stratégie digitale et mon mémoire portait sur le podcast. A la suite de ça, j’ai eu envie de poursuivre l’aventure et j’ai créé GOLIWOK PROD, qui est une agence de production d’histoires sonores et de podcasts. Ça reste toujours une envie de raconter des histoires, sous une forme différente. Nous sommes encore dans le récit, dans l’histoire, mais spécialisés dans le patrimoine, la culture et probablement l’environnement aussi, qui est une donnée essentielle du moment. J’en suis au début de l’aventure et j’ai quelques beaux projets sur 2021-2022

Au sein de GOLIWOK PROD, tu as un dogme : « du contenu de qualité ». Pourrais-tu développer ? 

Olivier : Je trouve qu’en terme de contenu, il y a beaucoup de copier-coller. Des choses qu’on voit passer mille fois sous une forme différente ou quasiment identique. J’ai à coeur de traiter les sujets de manière originale. Pour les 300 ans de l’incendie de 1720, on a créé un genre de conte sonore. c’est à la fois différent, très original, un peu théâtral. On travaille avec un studio, une production, des comédiens. J’essaie aussi de travailler en local

Pourquoi ne t’occupes-tu pas de la section Polar ? 

Olivier : Quelque part, je m’en occupe, mais je suis derrière, a contrario des fictions. On a cette émission mensuelle, « La Vilaine était en noir », où l’on rencontre un éditeur, un auteur, quelqu’un qui touche au polar … Je connais du monde et l’idée, c’est de les mettre en lumière. C’était déjà l’idée du festival en 2016 et l’émission la reprend : mettre en lumière des acteurs du polar qui souvent souffrent de ne pas avor assez de visibilité. Là aussi, je travaille en local pour qu’ils aient un peu plus de visibilité, pour qu’ils puissent progresser.

Que ce soit pour ton travail ou tes études, tu es dans le numérique. Comment travailles-tu maintenant que technologie doit rimer avec éthique et écologique ? 

Olivier : Je m’y intéresse ; je vois les choses passer, mais pour étudier en profondeur le sujet, malheureusement, Google reste le moteur de recherche le plus puissant. 95 % des requêtes sont faites sur Google. Mon site est construit en référencement naturel, par rapport à Google. J’ai beaucoup de respect pour tout ce qui est fait écologiquement en parallèle ; c’est important. Mais dans un premier temps, pour lancer une activité, un site internet, se priver de Google, c’est impossible. Je ne suis pas engagé comme ça aujourd’hui. Je le serai plus dans mes sujets traités dans les podcasts, où je m’intéresserai à toutes ces questions essentielles, mais pas sur les technologies employées.

L’article paru sur Balades Armoricaines

Balades Armoricaines, c’est plus qu’une agence de visites.
Avec humour, Anne-Isabelle Gendrot propose des visites thématiques, ludiques et décontractées. Pour ce partenariat autour d’Hélène Jegado, nous avons rencontrés les auteurs de La Jégado, tueuse à l’arsenic, édité aux éditions Locus Solus. Merci à Anne-Isabelle Gendrot de la confiance accordée.

RENCONTRE AVEC ANDORYSS

Où l’on parle d’architectes et de jardiniers, d’égalité femmes/hommes, d’un roman commencé en cinquième, de l’amour de la littérature et de l’écriture. Andoryss/Mélanie Guyard à plusieurs cordes à son harpe. Elle est à découvrir.

(c) Chloé Vollmer-Lo

Tout a commencé sur deux forums : Cocyclics et le Café Salé. L’un est pour les écrivains, l’autre pour les illustrateurs. Mais es-tu illustratrice? 

Andoryss : Non (rires), mais quand je suis allée sur le forum la première fois, c’était à l’initiative d’un pote qui est dessinateur. À l’époque, il n’y avait pas de scénariste sur le forum, mais ça s’est démocratisé. J’ai pu commencer mes collaborations sur le Café Salé. On a vu notamment sur le forum Julien Blondel, Olivier Henriot, etc. 

Mais il arrive que tu illustres aussi, n’est-ce pas ?  

Andoryss : Ça m’arrive de dessiner, j’aime bien ça, mais je n’ai pas les techniques de base. Je n’arrive pas à reproduire deux fois le même visage, mais je suis capable de dessiner n’importe quel animal avec un niveau scolaire… Et je dessine des femmes de trois quarts face, type manga, comme tout le monde (rires).

Peut-on résumer ta vie professionnelle à deux instants ? Quand adolescente, un cahier 24 × 32 se retrouve par erreur dans la liste des courses, ce qui donnera Les Loups puis ta rencontre avec David Chauvel, ton boss bien-aimé (dixit toi-même).

Andoryss : Tout à fait ! Ce sont deux moments clés !

Quand tu parles de comics, tu cites Watchmen et V pour Vendetta, les deux titres sont d’Alan Moore, un auteur qu’admire David Chauvel. Est-ce que ça a permis un rapprochement entre vous deux ?

Andoryss : Oui. On avait publié sur le site du Café Salé des planches des Enfants d’Evernight (1). David demande à nous rencontrer, mais ce qui l’intéresse en premier, ce sont les dessins… Comme toute personne qui fait de la bande dessinée. On commence à discuter et très rapidement, on se rend compte avec David qu’on a des univers en commun. Très rapidement, il va me proposer de travailler sur d’autres projets. J’ai travaillé sur Sept Naufragés (2) l’année qui suit Les Enfants d’Evernight. Je suis une jeune autrice et Sept est une grosse série, mais il me met dans la barque ! C’est lui aussi qui m’offre la possibilité d’écrire Le Cercle (3). Je lui suis reconnaissante. Oui, ça a été un bon point pour David, le fait qu’Alan Moore  soit l’un de mes maîtres.

Tu es plutôt littéraire mais tu deviens professeure de SVT, alors que tu aurais pu devenir aussi bien professeure d’histoire, vu que la plupart de tes récits en est imprégné. Pourquoi cette voie ?

Andoryss : Je suis au lycée et je suis douée en français. J’aime ça. Je m’approprie le commentaire composé. Je n’ai jamais eu moins de quinze à un commentaire composé. Après, je suis monotâche, je n’aime que le commentaire composé. L’essai ou le texte argumentatif, ça ne marche pas. J’ai 20 à l’écrit du bac de français, 19 à l’oral… Je ne savais même pas que je pouvais avoir 20 à l’écrit du bac de français ! Ma professeure de français me voit bien en khâgne ou hypokhâgne. Je me dis que j’ai prouvé ce que j’avais à prouver : je sais écrire ! En même temps, je ne suis pas une compétitrice, je suis incapable d’être dans l’opposition ou d’être dans le conflit avec qui que ce soit. Je n’ai rien à faire en classe prépa, les professeurs vont me rentrer dedans et je vais me rouler en boule en pleurant. Je vais me dégoûter toute seule d’un truc que j’aime d’amour, à savoir, la littérature. Du coup, comme j’ai peur, je me dis que je ne vais pas faire ça, je vais plutôt faire des études de sciences parce qu’il n’y a pas d’affect dans la relation à la matière. Je vais garder le français pour mon temps personnel, pas comme quelque chose où il y a des enjeux et de la compétition. C’est pour ça que je me retrouve à être prof de bio : parce que j’ai eu peur de la classe prépa. J’en ai croisé des auteurs qui ont été brûlé plusieurs années, après leurs classes prépas. Ils se sont dit qu’ils n’arriveraient jamais à écrire et ils ont eu beaucoup de mal à sortir de cet état d’inertie.

Tu écris des romans, des scénarios, du jeu de rôle… Tu n’arrêtes pas.

Andoryss : J’écris tout le temps et à partir de cette année, je vais faire aussi du jeu vidéo. Je dis que ce n’est plus un arc que j’ai, c’est une harpe. À force de rajouter des cordes… On peut raconter des histoires sous plein de médias différents et seule la technicité diffère. Raconter une histoire en bande dessinée ou en roman ou en jeu vidéo, c’est toujours raconter une histoire avec une technique différente et apprendre de nouvelles techniques, c’est quelque chose qui m’intéresse.

Justement, quand tu te présentes, tu dis écrire pour la jeunesse, pour les adultes, pour la bande dessinée. Pourquoi cette différence entre les genres ? Tu écris, tu racontes des histoires…

Andoryss : Je suis d’accord, je suis autrice, j’écris. Néanmoins, je trouve que cette distinction permet effectivement de toucher différents publics. Certains vont être intéressé par les romans jeunesse, d’autres par les bandes dessinées, etc. Si je me contentais de dire « je suis autrice », je ne leur donne pas les billes pour interagir avec moi. Quand je multiplie les supports, je leur donne les billes pour interagir avec moi et j’adore quand les gens interagissent avec moi.

Pourquoi une distinction entre Andoryss, Mel Andoryss et Mélanie Guyard ? 

Andoryss : Je pense que le nom de l’autrice (moi en l’occurrence) doit autant refléter le contenu du livre que le titre de celui-ci. Ça ne me dérange pas d’avoir vingt millions de pseudos car ma plume est différente selon ce que je raconte et certains bouquins trouveront mieux leur public si je n’utilise pas tel ou tel pseudo. Les âmes silencieuses (4) ne se serait pas bien vendu si j’avais laissé Mel Andoryss dessus, parce que le public aurait cru à quelque chose de bizarre. C’est un roman de littérature générale et Mélanie Guyard ça leur parle plus.

Tu vas écrire un jeu vidéo ? Peux-tu nous en dire plus ?

Andoryss : J’ai été recrutée par la région Picardie pour écrire un jeu vidéo autour du pays du coquelicot . Je le fais avec Clément Lefèvre  et Pixel Hunt. Pour réaliser ce projet, on va travailler deux ans dessus, en résidence ponctuelle.

Les projets ne s’arrêtent jamais chez toi. Ils portent tous des codes secrets : « Sang, Benedict, Les Loups » etc. Pourquoi mettre des codes ? Pourquoi ne jamais s’arrêter d’avoir des projets ? 

Andoryss : Je mets des codes car je suis un peu superstitieuse. Le projet ne reçoit son nom définitif que lorsqu’il est terminé. J’utilise des codes tant que le projet est en travail. Notamment pour le projet « Sa Collab ». Le titre original était Sa Collaboration. Il a changé en cours de route pour devenir Les âmes silencieuses… Il paraît que Sa collaboration ne faisait pas vendre (rires). Au final, on se retrouve avec des codes qui sont bien différents du projet final. Si certains projets restent à l’état de projets, c’est parce qu’ils n’ont pas trouvé d’éditeur mais ils ont à vocation d’être publiés quand même. 

Entre tes projets et les parutions, il se passe beaucoup de temps : quatre, cinq, voire dix ans. Pourquoi autant de temps entre la première pensée et le livre, voire le manuscrit ?

Andoryss : Prenons mon Grand Œuvre, avec des majuscules à tous les mots, qui n’est absolument pas paru, qui s’appelle « Les loups ». La première fois que je l’ai écrit, j’étais en cinquième. Il avait besoin d’être réécrit (rires). À l’heure actuelle, il a été réécrit treize fois… De mémoire, je dois être à la version 13.1.5 pour des raisons qui ne regardent que moi. Je ne pense pas qu’il y aura une version 14. Le premier volume a l’air pas mal… Néanmoins, je me réserve le droit de revenir sur cette déclaration quand j’aurai écrit les six volumes. Du fait de sa taille et de son contenu, comme il y a six tomes de prévus, les éditeurs n’en veulent pas. C’est trop gros, c’est inclassable : Ce n’est pas du polar, ce n’est pas de l’enquête, ce n’est pas de la jeunesse mais ce n’est pas non plus de l’adulte. Si je publiais ce bouquin-là, les éditeurs ne sauraient pas où le mettre et les libraires ne sauraient pas où le placer. Comme ça se passe dans les années 1990, je commence à avoir un décalage temporel de folle furieuse. Actuellement, la mode est encore aux années 1980, j’attends encore vingt ans, ce sera les années 1990, on sera pile-poil dedans. Je le sors à ce moment-là, on est bien ! Il y a d’autres projets qui prennent du temps. Je les ai écrits, ils ont besoin d’être réécrits, mais je n’ai pas le temps. Je favorise les projets signés et j’écris sur mon temps libre les projets non-signés, mais qui prennent du temps avant de sortir. Il y a notamment un projet du nom de code : « Odyssée » sur lequel je bosse depuis dix ans. C’est un roman de fantasy jeunesse animalière du type Brisby et le secret de NIMH, avec une société de souris. Je l’aime d’amour, il est séquencé, je ne l’écris que quand j’ai du temps libre, ça fait trois ans qu’il est commencé.

Comment évolue le cycle des « Loups » ? Une double saga familiale dans le milieu de la mafia, que tu as prévue en six volumes et sur laquelle tu travailles depuis plus de dix ans ?

Andoryss : « Les Loups », c’est mon Grand Œuvre, c’est le roman pour lequel j’écris tout le reste. Tous les autres romans n’avaient pour vocation que d’aiguiser ma plume pour « Les Loups ». Alors derrière j’ai publié, d’autres histoires se sont imposées, mais la première motivation qui m’a amené à écrire d’autres histoires, c’était pour améliorer ma plume afin d’écrire cette saga. Je pense que « Les Loups » sont dans ma bibliographie ce que La Tour Sombre est dans la bibliographie de Stephen King. C’est l’œuvre pour laquelle j’ai vécu mon écriture, c’est l’œuvre pour laquelle j’écris, mais en même temps, c’est celle qui est la plus inaccessible à mon public. Je l’ai fait lire à des bêta-lecteurs et j’ai une réaction de 50/50. Soit les gens aiment et ils sont fans, ils attendent la suite. Soit ils n’accrochent pas tout en aimant le reste de ce que je fais. J’ai beaucoup de pression de la part de ceux qui ont aimé. Je travaille beaucoup sur les secrets de famille et sur les interactions des héritages. Les lecteurs développent une forme d’addiction, ils veulent connaître la suite des secrets de famille.  Je ne pense pas que j’arrêterai d’écrire, mais c’est la fin de mon premier cercle, en sachant que tout ce que j’écris a pour vocation de m’aider à faire sortir « Les Loups ».

Tu t’intéresses à l’interaction des personnages, à la famille. Pourquoi ? C’est un thème qu’on retrouve dans tous tes livres. 

Andoryss : Je suis absolument passionnée par un thème : l’héritage familial. Comment les enfants se débrouillent avec ce qu’ont fait leurs parents, des choix de leurs parents ou de leurs grands-parents. Tu nais dans une famille et tu en portes le poids. Quel que soit le roman dont je parle, le thème est toujours le même. C’est fascinant parce qu’il me semble que c’est un équilibre dans lequel on peut tout faire. C’est vraiment un jeu dont vous êtes le héros ! On a plein de voix, de réactions par rapport aux situations familiales qui nous sont imposées. On a l’acceptation, la vengeance, la résilience… On va même polluer les réactions familiales en réaction au passif qui nous pèse dessus. Il y a plein de façons de faire et je trouve qu’explorer ces différentes réactions c’est fascinant.

Dans tes univers, il y a une chose qu’on retrouve systématiquement : une clef. Pourquoi ? 

Andoryss : À cause des loups ? (rires) C’est le premier élément de mon imaginaire. La première héroïne que j’ai créée s’appelle Jo, c’est un personnage des « Loups ». Je l’ai créée quand j’avais huit ans et elle avait une clef en argent autour du cou. Or, je trouve sur un marché la clef que j’ai imaginé. Je demande à l’avoir pour Noël. On me répond non et en fait, au matin de Noël, la clef est au pied du sapin… Le premier miracle de Noël ! Je la porte toujours. Elle a été fondamentale dans ma création d’univers. Je trouve que la symbolique de la clef est très forte et comme c’est cette clef qui a été à l’origine de tout, que ce soit mes personnages, mes histoires, elle représente la pierre fondamentale sur laquelle j’ai construit mon édifice. 

La clé d’Andoryss

Quand tu parles de tes personnages, tu dis : « Je n’aime pas avoir un héros, parce que je crois moyennement à l’héroïsme individuel, alors que j’ai une foi inébranlable en la force du groupe. » Donc tu ne crois pas à L’architective ou au Passageur…

Andoryss : Ce n’est pas vrai ! Même si ce sont des héros individuels, ils sont forcément accompagnés. Armand (un personnage de L’Architective (5), ndlr) a un ami qui le soutient et Malaurie qui arrive au cours du roman va participer à ce soutien. Même si ses parents sont aux abonnés absents et c’était une caractéristique voulue au moment où j’ai créé le bouquin, il n’est pas seul. Quant à Matéo (un personnage du Passageur (6), ndlr) il dispose de son frère et de sa soeur qui participent à son travail. Il a aussi la communauté Rom à laquelle il appartient et qui lui permet d’avoir un point de repère pour la suite.

Tu n’aimes pas les sauts de temporalité, mais tu écris des livres qui parlent d’espace-temps. C’est paradoxal !

Andoryss : En fait, je n’aime pas les sauts de temporalité intra-récit. Je sais exactement d’où vient cette réflexion. Elle vient des Princes d’Ambres (de Roger Zelazny, ndlr). Quand j’ai lu  « Les 20 années suivantes… », etc. j’ai lâché le bouquin. Non ! Je refuse ce genre de choses ! Je trouve ça abominable ! Tolkien nous fait traverser toutes les terres brumeuses pendant des pages et des pages… C’est chiant comme la mort. On a envie que Frodon arrive, mais si l’auteur avait écrit  « Ils voyagèrent pendant quarante jours et ils arrivèrent en Mordor. », j’aurais lâché le bouquin de la même façon. On n’a pas le droit de faire ça, c’est une rupture de contrat ! Quand on fait une ellipse, on la fait bien. On ne la fait pas à l’intérieur d’un roman ou alors de façon extrêmement efficace. On a le droit de résumer l’enfance d’un personnage, de faire un prologue et d’embrayer sur la suite, mais les sauts de temporalité c’est très casse-gueule et je n’aime pas quand ils sont mal faits. Je suis désolée de le dire, mais dans Les Princes d’Ambre, c’était très mal fait ! Les gens vont me détester pour ça et ce n’est pas grave ! 

Dans l’histoire de Spider-Man, il y a cette réplique : « De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités », mais chez toi, les personnages ne sont pas infaillibles, ce ne sont pas des super-héros.

Andoryss : Je pense que les super-héros sont super-humains. C’est ça que j’aime beaucoup dans le travail d’Alan Moore, c’est que ces super-héros sont plein de défauts. Dans Watchmen, le comédien est une plaie ! Ils sont tous faillibles ! Docteur Manhattan quand on y regarde de plus près, il a perdu son humanité. Il fait les choses parce qu’il pense que c’est ce que les autres attendent de lui mais il n’a plus d’interaction avec les gens, même plus avec la femme qu’il aime. J’aime les héros faillibles. Dans V pour Vendetta, le héros est déterminé et sa plus grande faille, c’est justement son auto-détermination. Au moment où il se lance dans la lutte, il est déjà en tort par ses méthodes, mais il accepte ça, il emporte le monde avec lui dans sa chute, il accepte de chuter avec le monde. Il le fait très bien, mais ce n’est pas un héros, c’est un monstre ! 

Toi qui n’aime pas l’héroïsme individuel ou qui préfère les héros faillibles, comment as-tu vécu ce déferlement de films de super-héros ?

Andoryss : Comme une explosion de popcorn ? Si on me demande de choisir entre Pitch Black et Iron-Man, je choisis Pitch Black. Mais aller voir un film Marvel ou ce genre de choses, c’est vraiment du popcorn. Je trouve qu’ils ont fait du bon travail. Sur certains aspects, leurs héros sont faillibles. Dans Civil War, Captain America dit qu’il n’est pas d’accord avec ça. Le film lui dit que s’il n’est pas d’accord avec, il devient un méchant. Et Captain America accepte. On voit où Captain America pose ses limites. On a le droit d’être d’accord ou pas, mais il cesse d’être un super-héros parfait. Ça c’est intéressant ! Le seul super-héros parfait, c’est Superman et il est assez insupportable, il faut le savoir. Ce qu’ils ont fait avec les personnages dépasse ce qui avait été fait dans les comics, mais ça rejoint ce qui a été fait depuis. Il y a toute une génération dans les années 1990 qui s’est amusée à challenger les limites des super-héros et à détruire leur aura. Même si Marvel s’est inspiré de la genèse officielle de ses super-héros, ils ont accepté de garder cette part d’ombre, là où dans les années 1980, on restait sur des super-héros intouchables et parfaits.

Tu détestes faire des recherches. Alors explique-moi cette phrase de David Chauvel : « Andoryss, la scénariste, adore ce genre de choses. C’est une créatrice de mondes, capable de dessiner des plans, des cartes, de définir la faune, la flore ou la toponymie d’un monde imaginaire. c’est un de ses nombreux et indispensables apports au projet. » On parle évidemment des 5 Terres. (7) 

Andoryss : Il y a une nette différence à passer des heures à chercher des faits réalistes et inventer ex nihilo un univers. J’adore inventer un univers. Mais quand je réalise Les 5 Terres, ce n’est pas de la recherche, c’est de l’invention pure. Je me demande comment sont composés les continents. Où sont les fleuves, les villes, les montagnes ? Que mangent-ils ? Quels dieux vénèrent-ils ? Créer un univers, ça m’évite de faire des recherches ! Le premier volume des 5 Terres est sorti, mais nous sommes à l’écriture du septième volume, le dessinateur est sur le troisième volume. Aux alentours du volume 4 ou 5, un des membres de l’équipe s’étonne d’avoir des armures de cuir, alors que ce sont des animaux. D’où vient le cuir dans ce cas ? David a dit : « Je laisse Mélanie répondre »… Et j’ai une réponse ! Je sais d’où vient le cuir, quelle est son économie, qui le fournit, comment il est récupéré, etc. Un des cinq continents fournit en cuir l’intégralité des cinq terres. 

Ton chef vénéré (David Chauvel) te pose cette question : « Cette capacité incroyable que tu as à inventer des personnages, est-ce inné ou acquis ? »

Andoryss : Oh p… c’est chaud comme question ! Je pense que c’est de l’acquis, c’est comme faire de la bicyclette. En fait, je suis une insomniaque chronique. L’un des moyens que j’ai trouvé pour m’endormir quand j’étais adolescente et que j’ai commencé à avoir des troubles du sommeil, c’était de créer un personnage et de le mettre dans un monde. Je regardais comment ça se passait. Le temps qu’il traverse trois rues, je m’endormais. Le lendemain, je récupérais le même personnage dans la troisième rue et j’essayais de voir la suite. Je crée des histoires et des mondes… Pour dormir. À force d’utiliser les même chemins neuronaux, Le cerveau se dit que c’est très employé donc c’est utile. Ces chemins de créations de monde, ça a été tellement emprunté que maintenant, c’est un feu d’artifice ! Quand je veux créer un monde, mon cerveau me dit :  « J’ai plein d’idées ! » (rires)

Tu as un agent. Quelles sont tes relations avec elle ? Que traite-t-elle?

Andoryss : Roxane est en charge de tous mes romans, par contre elle ne touche pas à la bande dessinée, car cette partie appartient à David. J’ai toute confiance en lui. Il a toujours tenu ce double rôle : c’est lui qui négociait mes contrats, mes avances, etc. Je ne me voyais pas le by-passer en lui mettant quelqu’un entre les pattes. La relation que j’ai avec David est très privilégiée et j’y tiens. En dehors de ça, Roxane, c’est un coach et c’est une personne à qui je vais pouvoir déléguer tout ce que je suis incapable de faire. Relancer les éditeurs, négocier mes contrats, négocier l’à-valoir… Un des plus beaux jours de ma vie, ça a été le jour où Roxane m’a dit : « Ne t’occupe pas de ça, c’est mon travail. Toi, contente-toi d’écrire. »

Tu fais partie du Collectif de Créatrices de Bandes Dessinées. Peut-on te définir comme militante ?

Andoryss : Je ne sais pas car je pense que j’occuperai la place de gens qui le font mieux que moi. Je suis une sympathisante militante féministe. Je vais lutter pour l’emploi du mot « autrice », je vais parler des luttes, mais on me verra très peu répondre aux haters sur Internet ou participer à des débats publics parce que tout en étant sympathisante, je hiérarchise énormément mon emploi du temps. Cette lutte, même si je suis très sympathisante, ce n’est pas une priorité.

Que penses-tu du fait qu’il n’y ait pas ou peu d’autrices au programme du bac ou lors des sélections de prix ? 

Andoryss : Nous souffrons toujours d’un défaut d’attention de la part des gens. Aussi bien les mecs que les nanas. Une femme sera moins écoutée, moins prise au sérieux, elle retiendra moins l’attention qu’un mec. Les médecins commencent à le dire, il y a un problème d’écoute de la douleur féminine. Du côté des femmes, c’est pire. Elles sont tellement résilientes, elles ont tellement l’habitude de souffrir en silence que quand elles commencent à se plaindre… En parallèle, l’homme, ça ferait deux ou trois mois qu’il serait à l’hôpital. On a une quantité hallucinante de femmes diagnostiquées avec des cancers en phase terminale juste parce qu’elles ont fermé leur gueules ! Une quantité plus importante que celle des mecs parce que les femmes taisent leurs douleurs. C’est une part d’inné et d’acquis. Dans la nature, les proies font le moins de bruit possible lorsqu’elles accouchent pour ne pas attirer les prédateurs. Ce silence, c’est quelque chose qui va se retrouver dans la nature, mais nous sommes une société civilisée, nous sommes censés avoir établi une forme d’équilibre entre les sexes. Il serait temps de le faire pour de vrai et de considérer les gens pour ce qu’ils sont. Pour en revenir au bac et aux prix, c’est un escalier avec plusieurs marches. À quantité égale d’hommes et de femmes qui écrivent, plus d’hommes soumettront leurs romans. À quantité égale de soumissions de romans, plus d’hommes seront publiés. À quantité égale d’hommes et de femmes publiés, plus d’hommes auront un tirage supérieur. À ce moment, on se rend compte que la proportion de femmes est très faible… À quantité égale de tirages, les hommes seront plus mis en avant. Ce n’est pas étonnant qu’ils se retrouvent sur les prix, ils sont plus lus. Ça fonctionne parce que toutes les marches de l’escalier mènent jusque-là. C’est d’une logique implacable.

Nous sommes en novembre et novembre, c’est ? 

Andoryss : NaNoWriMo ! (rires)

Peux-tu expliquer ce que c’est ? Depuis combien de temps le fais-tu ?  

Andoryss : Le NaNoWriMo , c’est le National Novel Writing Month. C’est un mois où nous écrivons en moyenne 1667 mots par jour. En moyenne, puisque le but c’est d’arriver au 30 novembre avec 50 000 mots. Je me souviens d’une année bénie où j’ai fait un NaNoWriMo en 7 jours. C’était super mais je ne le referai plus jamais. Ça sert à détecter spontanément les tics d’écritures. Quand on écrit 1000 mots par jour, on va se rendre compte qu’on emploie toujours les mêmes verbes, les mêmes intonations, les mêmes phrases, etc. En terme de rythme, c’est mortel. Quand on se rend compte au bout de trois jours qu’on a le même rythme, ça tue tout. En cours d’écriture, on soulève les tics, on les corrige, on en découvre d’autres et c’est très bien pour ça ! Le NaNoWriMo c’est aussi le principal allié des gens qui veulent écrire. Le principal écueil des gens qui veulent écrire, c’est qu’ils ne finissent jamais. Avec le Nanowrimo, on écrit et on finit. C’est la vidéo d’Ira Glass que je publie régulièrement sur mon blog. Elle dit de finir, d’aller jusqu’au bout ! On a le droit que ce ne soit pas parfait à la fin du premier jet, mais il faut faire un premier jet parce que vous saurez que vous en êtes capables. Quand on est capable de quelque chose, alors on peut déplacer des montagnes !



Qu’est-ce c’est pour toi ? Qu’est-ce que ça t’a appris ? 

Andoryss : Le NaNoWriMo c’est un exercice. Ça m’a appris que mon écriture était toujours perfectible. Ça m’a donné des clefs sur l’écriture. Le syndrome de la page blanche n’existe pas par exemple. Tu ne sais pas ce que tu dois écrire, ben tu te bottes le cul. Ce que tu écris, c’est de la merde ? Ce n’est pas important parce que comme tu te seras forcé à écrire de la merde, la scène suivante viendra spontanément et elle sera superbe. Tu n’aurais jamais réussi à écrire si tu l’avais juste pensé pendant des semaines. Ça m’a appris aussi qu’on a tous peur, parce qu’on est des milliers à écrire pendant le NaNoWriMo. On voit ces personnes qui ont peur, qui n’y arrivent pas, on les soutient parce qu’on est passé par là. Internet a permis ça, c’est une émulation monumentale.

Êtes-vous beaucoup à le pratiquer entre auteurs ? 

Andoryss : Oui, il y en a. Au fil des années, il y a de moins en moins d’autrices et auteurs professionnels qui le pratiquent, mais ce n’est pas parce qu’ils ont déconsidérés l’exercice. Il y a des deadline d’écriture. On ne peut plus passer un mois à écrire un projet dans le vent. Quand ça tombe bien, on peut écrire un projet de roman sur le NaNoWriMo, mais il ne faut pas se leurrer, à la fin du mois de novembre, le roman est à réécrire. Aucun roman écrit en un mois n’est bon spontanément.

Sur ton blog, tu commentes cette phrase de Ray Bradbury : « Your intuition knows what to write, so get out of the way  » (8), par le fait que le NaNo le permet. Est-ce que les autrices-auteurs sont trop timorés dans l’écriture ?

Andoryss : Ce n’est pas une question d’être timoré, c’est une question de maîtrise. En fait, il y a un travail à faire dans l’écriture, un travail de lâcher-prise. C’est la discussion des architectes et des jardiniers. Il y a un travail de jardinier à faire quand on est architecte et vice-versa. Il faut les deux dans ce monde, mais il y a un truc très fort qui est un manque dans la plume quand on ne l’a jamais expérimenté… Il y a des moments de grâce. Les personnages savent mieux que nous où ils veulent aller et ce qu’ils doivent faire. C’est ce que disait Olivier Paquet hier pendant la table ronde ( Le story telling, un nouveau code social? Festival des Utopiales) : « Je laisse les personnages être et ils m’apprennent des choses sur l’histoire que je veux raconter ». C’est exactement ça. À un moment, il faut accepter de ne pas savoir ce que tu es parti pour écrire, de voir les scènes au moment où elles arrivent et de les accepter. Il faut faire confiance aux personnages, ils s’en sortiront tout seuls, ils n’ont pas envie de mourir. Il faut lâcher-prise. Peut-être que notre cerveau, notre intuition, nos rêves savent mieux que nous comment écrire une bonne histoire.

Tu te définis comme jardinière. Comment ça se passe pour l’écriture ? Le point final l’est-il ou les personnages ont encore des choses à dire ?

Andoryss : Je suis une jardinière qui se soigne. Sur certains points, j’ai besoin d’être architecte. Quand on est jardinier, il ne faut pas croire qu’on va tout écrire au fil de la plume et que ça va être super. Il y a des gens qui y arrivent, mais pas moi. Quand on ne veut pas écrire de la merde, il faut accepter l’idée qu’il faut faire un premier jet et qu’il faut le réécrire. Je suis un animal de réécriture. Je ne réécris pas tout, mais assez régulièrement, je réécris des portions entières de mes romans, parce que la fin m’a appris ce que je voulais vraiment raconter. Je fais un premier jet, mais ce n’est pas une œuvre. Derrière, il va falloir que j’efface, je peaufine, j’affine et je finis par obtenir quelque chose qui peut être appelé un roman. 

Tu dis être jardinière mais dans ta vie tout est régit par emploi du temps. Ce ne serait pas de l’architecture ?

Andoryss : J’ai besoin d’avoir des points de repère dans mon univers pour ne pas avoir l’impression de ne rien faire. Malgré ça, j’ai souvent l’impression de ne pas en faire assez. Le fait d’avoir un emploi du temps ça me permet de me dire qu’à la fin de la période je ne me suis pas tournée les pouces. Si je ne le faisais pas, j’aurais fait la même chose, mais je me lamenterais parce que j’aurais l’impression de ne pas avancer. L’emploi du temps, c’est une méthode pour éviter l’écueil du désespoir qui me retarde. Quand on s’épuise et qu’on est désespéré, on écrit beaucoup moins que quand on est fatiguée, mais conscient de ce qu’on a fait jusque-là.

La musique est-elle présente dans la vie de tous les jours ou uniquement pendant les phases d’écritures ? 

Andoryss : Dans la vie de tous les jours, j’ai davantage de musique à parole. Mes BO d’écriture, ce sont des musiques sans parole. Ce sont généralement des bandes originales de films, de jeux vidéos. Quand j’écoute pour le plaisir, j’écoute des chansons. Il y a une unique exception : « Les loups ». Le projet a une bande originale composée de chansons. Mais « Les loups » c’est l’exception à tout…

On rappelle que tu es jardinière, que la musique d’écriture pourrait te transporter, mais tu la sélectionnes d’avance. Ce ne serait pas de l’architecture ?

Andoryss : Hmmm, je ne sais pas. Souvent, avant de choisir une bande originale, j’ai des idées préconçues. Je me mets sur YouTube avec la musique à laquelle j’ai pensée et je laisse le mode aléatoire défiler. C’est comme ça que je suis tombée sur Max Ritcher pour le roman  « #tempête ». De Max Ricther, je suis passée à celle de Shutter Island. J’ai donc trouvée ma bande originale sans la connaître à l’avance, par inadvertance.


On reste dans la musique, avec ton travail sur Peer Gynt et Casse-Noisette (9). Comment adapter un conte qui va être produit en musique et en bande dessinée projetée ? 

Andoryss : Peer Gynt était super compliqué. J’étais obligée de tenir compte de la musique car c’était une bande dessinée sans parole. Il fallait que les planches apparaissent à l’écran selon un certain timing correspondant à la musique qui allait être jouée. On m’a donné l’ordre et la temporalité des morceaux. Je suis allée chercher la musique, je les ai enchaîné pour les avoir dans le bon ordre et la bonne temporalité et j’ai écrit avec ça. Je mettais des timer pour que ce que j’écrive, c’est ce qu’on entende. C’était un travail de grande précision. Notamment, à un moment, Peer Gynt sort d’une caverne et Solveig fait sonner les cloches. Je voulais qu’au moment où les cloches résonnent, le lecteur arrive sur la case où on les voyait sonner. C’était du travail de chirurgie. Ça a été compliqué à cause de ça. Cette année, on adapte Casse-Noisette et c’est beaucoup plus simple, parce qu’il y a un conteur. Cette personne va parler entre deux morceaux de musique et après, les images vont raconter ses paroles pendant que la musique est jouée. C’est quelque chose de beaucoup plus facile à faire. Si l’image n’est pas au bon moment, ce n’est pas grave il y a eu le conte avant.   

Comment travailles-tu ?

Andoryss : Pour tout ce qui est scénario, je l’ai fait toute seule. Il a fallu que j’explique à l’orchestre de Paris que j’avais besoin des morceaux de musique et de leurs successions. Ils ont mis du temps à me les fournir, parce que c’est le chef d’orchestre qui les choisissait. On ne savait pas quel morceau allait être joué. À partir du moment où je l’ai su, j’ai travaillé toute seule sur le scénario et après, j’ai travaillé en partenariat avec Noémie Chevalier, l’illustratrice, puis avec l’orchestre de Paris pour ajuster le tout. Mais au départ, je suis toute seule sur le scénario.

Nous sommes en novembre, est-ce que la to-do list 2019 est remplie ?    

Andoryss : Pas du tout. De temps en temps, la vie arrive avec un marteau et fait voler ton emploi du temps en éclats. J’aurai dû finir deux romans d’ici la fin de l’année, ce n’est pas fait. J’ai encore l’espoir de finir l’un des deux ! Je ne finis jamais mes to-do list. Elles sont toujours trop chargées. Le but n’est jamais de les réaliser, mais de prioriser mon emploi du temps. Ça me sert également de point de repère à l’horizon vers lequel je tends. Si je fais dix kilomètres au lieu de vingt, ce n’est pas grave, je suis toujours dans la bonne direction.

On peut dire que tu es une geek. Comment travailles-tu maintenant que technologie doit rimer avec éthique et écologie ? Fais-tu des choix de logiciels, de matériel ?

Andoryss : Je le fais parfois. Mon moteur de recherche par défaut c’est Ecosia, mais de temps en temps, je ne trouve pas ce que je veux, alors je repasse sur Google, parce que Ecosia est « moins » efficace que Google. Mais « j’aime bien mes chaussons ». Je suis habituée à Word et je ne suis pas passée sur OpenOffice. J’essaie effectivement mais les logiciels libre de droits n’étant pas ceux sur lesquels j’ai appris, je m’en sers extrêmement peu parce qu’il y a une forme de satisfaction à retrouver un logiciel qu’on maîtrise. Ça fait des années que sur l’impulsion de Lionel Davoust, je devrais passer à Scrivener. J’ai fait le tutoriel, j’ai trouvé ça génial. Sauf que comme ça va me demander un travail d’adaptation, je refuse systématiquement d’y passer complètement.

Aux Utopiales, tu es modératrice, tu passes à une autre étape. Quel est ton sentiment ? 

Andoryss : Comme à chaque fois que je fais quelque chose… J’ai un gros syndrome de l’imposteur (rires). C’est quelque chose qui est difficile à combattre. À un moment, j’ai eu un manque de légitimité parce que je n’avais pas fait d’études littéraires et que j’étais autrice. Pendant très longtemps, je ne me suis pas sentie à ma place. Puis, il y a eu des petits détails qui m’ont remis dans le droit chemin… Par exemple, j’ai assisté à une masterclass de Lionel Davoust sur la création d’histoires. Quand il m’a vu rentrer, Lionel m’a demandé :
« Qu’est-ce que tu fais là, Mélanie ? Tu sais créer et raconter des histoires.
— Je n’en sais rien, je ne sais pas. »
Pendant la masterclass, il nous a fait faire quelques petits exercices et les réponses m’ont semblé évidentes. Je suis sortie en me disant que j’étais capable d’être pertinente sur certaines choses. Par ajout de petites pièces où je me disais que j’étais pertinente, j’ai pu étouffer mon syndrome de l’imposteur sur l’écriture de scénarios et de romans. Maintenant, on me demande de modérer des tables rondes. C’est nouveau, donc je suis à nouveau une impostrice… On en reparle dans trois ans !

La dernière question vient de Charlotte Bousquet, ton éditrice sur Le Passageur :  « Passageuse ou Pythie ? »

Andoryss : Définitivement Pythie. Le Passageur se soumet à un pouvoir qui lui est supérieur et dans lequel il doit aider les gens. La Pythie, c’est quelque chose qui lui tombe dessus. Elle est obligée de le faire, sinon elle devient folle et en même temps, c’est à la fois une malédiction et quelque chose qui est complètement incontrôlable. Le Passageur contrôle ses voyages dans le temps, et le fait de répondre aux âmes dévoreuses. Il y a une forme de maîtrise qui n’existe pas chez la Pythie. Je me sens plus Pythie. Je ne suis pas en contrôle de mes histoires, je suis un vecteur. J’ai vraiment l’impression d’être cette élue d’Apollon qui est traversée par la volonté du dieu et qui n’a pour vocation que de le restituer à la bonne personne. Moi, en tant qu’autrice, je me sens traversée par mes histoires et je suis en charge de les restituer. Je suis une Pythie.

Merci à Andoryss d’avoir accepté cette rencontre, malgré un emploi du temps surchargé.
Merci à Marielle pour les corrections.
Merci à Charlotte Bousquet et David Chauvel pour les questions.

(1) (2) (3) (7) sont des bandes dessinées éditées aux éditions Delcourt. 
(7) L’interview de David Chauvel vient du site Tout en BD.
(4) Les âmes silencieuses est un roman paru aux éditions du Seuil
(5) L’architective est un roman paru aux éditions Castelmore
(6) Le passageur est une série de romans parus aux éditions Lynks
(8) Votre intuition sait quoi écrire, alors écartez-vous de son chemin
(9) Casse-Noisette est un concert en famille par la Philharmonie de Paris. Le concert se déroulera le 30 novembre. Il n’y a plus de place.

Les citations de Ray Bradbury et Andoryss sont issus du blog de l’autrice

RENCONTRE AVEC LE COORDINATEUR DU PRIX COMICS ACBD

Le 25 octobre prochain, lors de la Comic-Con Paris, l’ACBD remettra pour la première fois, le Prix Comics ACBD de la critique. Nous avons rencontré Yaneck Chareyre, le coordinateur du prix.

Bonjour Yaneck,

Qu’est-ce qu’un comics ?

Pour faire simple c’est une bande dessinée publiée aux États-Unis ou en Angleterre. Le champ du comic-book, c’est vraiment de la bande dessinée anglo-saxonne, même s’il a pu essaimer de part le monde.

Quelle a été la réaction de l’association ACBD quand tu as demandé la création d’un Prix Comics ?

Ce n’est pas moi qui l’ai demandé. C’est Aurélien Pigeat, il y a deux ans, à la fin d’une assemblée générale de l’ACBD (Association des Critiques et Journalistes de Bande Dessinée ndlr). Pour lui, c’était un souci qu’il n’y ait pas de prix de la bande dessinée américaine, au vu de l’importance que prenait dans notre pop-culture, les univers liés aux comics-books. Florian Rubis et moi avons renchéris sur ce constat. Le bureau de l’ACBD m’a confié une mission d’évaluation du projet. Celle-ci s’est faite durant l’année 2018 et nous avons rendus nos analyses lors de l’assemblée générale 2019. L’association et ses membres ont validé le principe d’un prix. A une énorme majorité, celui-ci a été considéré comme une très bonne idée, comme une logique que notre milieu reconnaisse un genre qui était là avant les mangas et qui était délaissé depuis des années.

Comment s’est déroulée la sélection ? Quels en sont les membres ?

Il se compose de quatre personnes. Il y a Florian Rubis qui écrit notamment pour ActuaBD.com.  Il est aussi monteur d’exposition consacrée à la bande dessinée anglo-saxonne et surtout britannique. Il y a Aurélien Pigeat qui fait aussi partie d’ActuaBD.com. Il est aussi le nouveau responsable du Prix Asie. Il y a aussi Bernard Launois qui écrit pour Auracan.com et moi, en tant que journaliste pour Zoo.
Nous avons validé l’existence du prix au mois de mars, lors de l’assemblée générale de l’ACBD. Depuis, on se soumet les titres qui nous semblent les plus pertinents. Tout au long de l’année, on utilise les réseaux sociaux pour les faire découvrir, pour les commenter, mais aussi pour demander aux éditeurs des copies numériques pour la sélection. Nous nous sommes réunis début septembre virtuellement pour épurer la liste et déterminer la sélection finale. Nous avions une vingtaine de titres sur six mois. On fera sans doute mieux l’année prochaine. Nous avons fait une première liste de dix titres, avec certains éditeurs qui en avaient deux. Nous avons discuté, échangé et sous forme de consensus, nous sommes arrivés à bâtir une sélection. Elle fait la part belle aux deux grands univers historiques qui sont Marvel et DC, par l’entremise des éditions Panini Comics et Urban Comics. Les deux autres éditeurs sont des défricheurs de talents. Nous avons Tumultes chez Presque Lune et Pour l’amour de Dieu Marie chez Cambourakis.

Dans la sélection, pourquoi ne pas prendre que des titres super-héroïques ou au contraire n’en prendre aucun ?

La définition que je viens d’en faire- qui n’est pas celle de l’ACBD-mais qui se recoupe là-dessus- ne tient pas compte de ces questions-là. Ce n’est pas un critère discriminant. La définition de l’ACBD pour le Prix Comics ACBD de la Critique : nous primons un album publié en anglais, dans un pays de culture anglophone et traduit en français pour les pays francophones. On n’est pas loin de ce que j’ai dit. La définition officielle est là pour se garder des portes ouvertes sur d’autres univers culturels, pour ne rien se fermer. La bande dessinée franco-belge c’est autant Thorgal, La Famille Passiflore ou Le déclic de Manara. Le comic-book, c’est de l’indépendant, du mainstream avec de la science-fiction, du polar, du super-héros, etc. On ne voulait se fermer aucune porte. On a essayé de faire en sorte que la sélection finale des cinq titres soit à la hauteur de cette diversité de production.

Dans cette sélection, on est plutôt dans les genres : fantastique, polars, etc. Vous n’avez-pas peur de laisser des lecteurs sur le chemin ?

Je ne crois pas. On a beaucoup de diversités. Pour l’amour de Dieu, Marie raconte la façon dont une jeune fille, élevée dans une culture anglicane, va pousser un petit peu loin le mantra : « Aimez-vous les uns, les autres ». On est sur quelque chose de très politique : sur la place de la femme, celle de la femme par rapport à la religion anglicane et donc au christianisme. C’est une bande dessinée engagée avec un dessin qui flirte avec les influences japonaises. Tumultes est un polar psychologique, Multiversity est un récit de super-héros méta-analytique, Mister Miracle, C’est du super-héros revu et corrigé. Quant à X-Men Grand Design, c’est un récit de super-héros à la sauce indé ! Le seul reproche que je pense qu’on puisse faire à cette sélection et c’est assumé volontairement, c’est un caractère élitiste. C’est le propos du prix : nous nous demandons, journalistes et critiques, de déterminer quels sont les meilleurs albums de l’année. Cela nous amène à avoir des titres qui ne seront pas nécessairement très grand public et qui ne seront pas les plus classiques. Il n’y aura pas forcément Captain America ou Walking Dead. Mais ce genre de séries pourront trouver leurs places dans la sélection à l’avenir. Par exemple, nous avons beaucoup hésité sur le Batman White Knight de Sean Murphy, mais il ne rentrait pas dans les critères, en termes de délais. A un mois près, il y aurait eu du Batman dans la sélection.

Hors sélection, on remarque qu’il y a un choix varié d’éditeurs.

Sur le Prix Comics, on s’est résolu à mettre deux titres des éditions Urban Comics, sur les cinq de la sélection. On aurait aimé idéalement avoir cinq éditeurs pour une vraie diversité éditoriale. Du coup, on utilise nos recommandations pour dire aux gens qu’il y a beaucoup de choses, différents éditeurs et des univers variés. C’est un moyen pour nous d’avoir tous les éditeurs qui publient du comic-book et de citer un titre de chez eux globalement. Ça permet d’avoir une sélection qui dise :  » La bande dessinée américaine, aujourd’hui en France, ça ressemble à ça et ce sont ces acteurs-là qui la font ». Malheureusement, on a oublié des éditeurs, comme Le Snorgleux. Je l’ai redécouvert récemment. Il avait toute sa place dans les recommandations.

Est-ce qu’un Prix Comics pourrait devenir Grand Prix de la Critique?

Techniquement, ce serait possible. On s’est posé la question dans l’association. Les albums qui sont dans la sélection du prix pourront se retrouver dans la sélection du Grand Prix. L’an dernier, Moi, ce que j’aime c’est les monstres a été primé. C’est un comic-book et il aurait été impensable de ne pas l’intégrer à un Prix Comics. On aurait sans doute été obligé de le primer deux fois, ce qui nous aurait causé du tracas, sur des questions de principes, mais ça aurait été mérité.

Vous êtes partenaires de la Comic-Con Paris. Comment ça se déroule ? Est-ce qu’une personne de la Comic-Con vote pour le prix ?

Non, ils ne votent pas. La Comic-Con Paris a accepté de nous recevoir pour la remise de ce prix. Nous les avons démarchés parce qu’à notre sens, c’est aujourd’hui, en termes de festival comics, la marque la plus connue, en France. Il y a de nombreuses initiatives qui se développent, comme la Lyon Comic-Gone, le Toulouse Game Show, le Roubaix Comics festival, etc. Il y a pleins d’événements qui existent en France, mais avec tout le respect dû à ces festivals, que j’espère pouvoir visiter un jour, Comic-Con, c’est une marque internationale, extrêmement connue et qui va toucher des publics différents. On est allé les voir parce qu’on recherchait un espace médiatique pour remettre ce prix. Ils ont accepté qu’on soit partenaires. Le lauréat sera annoncé lors de la Comic-Con et le prix sera remis lors d’un panel avec des invités, le vendredi 25 octobre. Ce panel permettra de débattre autour de l’œuvre ou des auteurs primés. Ainsi se clôturera cette première édition du Prix Comics ACBD de la Critique. . En attendant, les membres de l’ACBD votent, ils ont jusqu’au 10 octobre. Après, il nous restera à préparer la conférence !

Comment as-tu découvert les comics ?

Un été, petit, mon grand-père maternel m’offre un comics de retour d’une braderie. C’est un Special Strange avec Iron-Man en couverture. Je ne sais plus lequel, mais ça doit être déjà la période Semic. Quelques années plus tard, je me fais opérer des amygdales. Pour ne pas m’ennuyer, mon grand-père m’offre un comics. Je me souviens très bien de celui-ci. C’est le recueil kiosque de La guerre du pouvoir, avec Adam Warlock et Le mage. C’est le premier comics que j’ai lu, avec une palanquée de personnages. J’ai commencé là. J’ai suivi Strange sous le format de trois magazines reliés. En janvier 1995, j’achète mon premier Strange mensuel et je n’arrêterai plus d’acheter de magazines kiosques comics jusqu’en 2017. 

Comment as-tu évolué ? Tu ne lis pas que du super-héros.

J’ai toujours lu de tout. A côté de Strange, je lisais Noritaka, le roi de la baston, Alix, etc. J’avais cet éclectisme et naturellement ça m’a amené à tester d’autres univers. Du côté des comics, ça doit être vers 1997, quand Thierry Mornet était à la barre chez Semic. Il commençait à publier des comics indépendants. Je pense que j’y suis venu par le kiosque et puis après… Pas de limites !

Que conseillerais-tu à une personne qui voudrait commencer le comics ?

Commencer par UN comics, ce n’est pas possible… Le plus simple, c’est de commencer par du Batman. Prenez le Batman Silence par Jeff Loeb et Jim Lee. Si vous voulez du super-héros, c’est celui-là que vous allez prendre, mais comme on l’a dit, le comics ce n’est pas que du super-héros. Si vous ne devez en retenir qu’un, allez lire Maus d’Art Spiegelman ! C’est de la bande dessinée américaine, c’est du comic-book et il n’existe pas de meilleure bande dessinée au monde, à mon avis !

A quel moment as-tu senti qu’on commençait à reconnaître le comics ?

Il y a plusieurs choses. Le développement de l’audience du comic-book se fait malgré tout largement par l’entremise du cinéma. Dès Blade, le film avec Wesley Snipes, on montre qu’avec un personnage de seconde zone de comic-book, on peut faire un film stylé et vendeur. Le film X-Men de Bryan Singer fait la même chose avec des personnages que tout le monde connaît. On peut faire un film qui a du sens, de la profondeur. Tout ça vient créer un éco-système dans lequel Marvel Studios va s’épanouir et montrer qu’ils peuvent adapter leur médium et leurs personnages avec respect et sérieux, ce que beaucoup de films ne faisaient pas avant. Ça n’a pas créé beaucoup de lecteurs, car le lectorat, même aux États-Unis ne se développent pas grâce aux films. Par contre, ça a permis de ramener la culture comics dans une forme de respectabilité. A partir du moment où un film de super-héros peut avoir du sens, où il peut faire des millions de ventes de billets… A ce moment-là, les gens le regardent différemment. Dans le même temps, les éditeurs français sont partis en recherche de matériel moins coûteux à publier. Payer des droits d’adaptations sur une bande dessinée étrangère coûte moins chère que de publier un auteur français. Je pense que les mouvements ont été concomitants. Les éditeurs de bande dessinée franco-belge sont venus de plus en plus vers le comics. On peut citer le travail de Benoît Peeters dans la collection écritures (aux éditions Casterman ndlr) qui a notamment fait découvrir Craig Thomson et qui a montré tout le potentiel de la bande dessinée américaine aux amateurs de « roman graphique ». C’est venu de pleins d’angles différents et aujourd’hui, un peu comme Antoine de Caunes demande : « C’est quoi la pop-culture ? », le comic-book, la bande dessinée américaine, ce n’est plus seulement la bande dessinée pour enfant, ce qu’elle était quand je l’ai connu. Elle a évolué, elle a fait des propositions différentes, elle a su aborder tous les genres, ce qu’elle faisait moins avant. Le public américain s’est diversifié et nous en avons bénéficié. On est sur un exemple de mondialisation culturelle, dont je ne me plaindrais pas.

Journaliste à 
Zoo, membre de l’ACBD, sélectionneur du prix comics, futur auteur, on ne t’arrête plus. Jusqu’où veux-tu aller ?

C’est extrêmement prétentieux, mais j’espère un jour écrire un livre d’analyse sur la bande dessinée. Ce sera l’évolution à terme. J’ai un sujet ou deux qui me touchent. J’aimerai travailler avec mon épouse sur l’un de ses centres d’intérêts professionnels : le vieillissement. L’un des miens est la question du handicap dans la bande dessinée. J’ai déjà travaillé dessus, mais j’aimerai en faire quelque chose de plus poussé. Un jour, ça arrivera, je ne suis pas pressé, j’y vais étape par étape et je guette les opportunités lorsqu’elles se présentent. J’ai parlé de Peeters, plus tôt. Mon modèle, c’est lui. Un jour quand je serai grand, je serai Benoit Peeters. Il reste pas mal de travail encore pour y parvenir…

Retrouvez en lien, les cinq titres sélectionnés

RENCONTRE AVEC PIERRE ALARY ET RONAN TOULHOAT

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A l’occasion des deux premiers tomes de la collection Conan, rencontre avec les deux dessinateurs Ronan Toulhoat et Pierre Alary. On parle de l’équipe éditoriale, des récits de Robert E. Howard, mais aussi de François Pignon et de l’Agent 212,

Comment avez-vous connu l’univers de Robert E. Howard ?
Ronan Toulhoat: J’ai vu le film de John Milius dans la fin des années 1990, et ce n’est que fin 2013, que je décide de m’intéresser à la littérature américaine du début du XXème siècle. Je commence à lire du Edward Rice Burroughs (TarzanLe Cycle de Mars ndlr), du Robert E. Howard, je lis les Conan, etc. et un an après, Jean David Morvan nous approche Vincent (Vincent Brugeas, le scénariste ndlr) et moi, pour nous demander si on veut être sur le projet. On s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire. Quand on s’est mis dans l’exercice de l’adaptation, on s’est frotté à un personnage quasi-iconique, mais tout en restant dans notre vision du personnage.

Pierre Alary : J’ai découvert Robert E. Howard quand j’étais ado, parce qu’à l’époque je lisais beaucoup de littéraire américaine néo-gothique : Hobson, Lovecraft, Howard, etc. Notamment grâce aux éditions Néo. J’ai commencé Howard avec Solomon Kane avant de lire du Conan, mais je ne les ai jamais relus, même avec les nouvelles traductions. L’auteur faisait partie de mon histoire, de ma culture.

Avez-vous lu Conan en bande dessinée ?
Pierre Alary : J’en ai lu en comics, mais que ce soit Barry-Windsor Smith ou John Buscema, je n’ai pas apprécié leur travail sur le personnage. Du coup, je me réfère plus à la littérature.

Ronan Toulhoat : Je n’ai jamais lu les comics. J’avais les illustrations de Frazetta en tête, mais je n’ai découvert le travail de Buscema que largement après. Rétrospectivement, quand on voit le travail qu’ils ont fait, Conan est déjà à l’époque une grosse licence, largement exploitée par les américains. C’est à remettre dans son contexte aussi. On va demander aux jeunes dessinateurs qui apprennent leur métier, de dessiner sur des licences comme celles-ci. Ils dessineront un ou deux épisodes et ils passeront à autre chose. Donc, je suis comme Pierre, je me suis plus attaché au texte, mais au final, ce n’est pas plus mal, car je restais dans l’image du Conan que je me projetais.

Maintenant que vous avez œuvré sur le projet éditorial de Conan. Que pensez-vous du personnage ? Quelle est cette vision européenne, voulu par Patrice Louinet (Co-directeur de la collection ndlr) ?
Pierre Alary :  Une vision graphiquement européenne…

Ronan Toulhoat : Comme le dit Patrice Louinet, avec ce texte, ce format, on revient aux sources de ce que voulait Howard pour son personnage de Conan. C’est Sprague de Camp qui a donné une chronologie aux nouvelles, pour que le personnage de Conan colle à l’image du self-made man à l’américaine. Le mec qui ne part de rien et qui devient roi. Pour Howard, ce n’est pas çà. Vincent, mon scénariste, compare le personnage de Conan à Francois Pignon. C’est une sorte de personnage type qui lui permet, dans son environnement de fantasy, de raconter plusieurs histoires avec le même personnage. Mais il y a certaines nouvelles où le personnage de Conan n’intervient pas. Il n’est que spectateur. C’était là qu’il était intéressant de travailler sur Conan et de se rendre compte aussi que ce personnage, c’est une sorte d’anarchiste. Il est contre la civilisation qui pervertit socialement et politiquement les hommes.

La civilisation d’Howard, elle est pervertie.
Ronan Toulhoat : Oui, c’est une vision nihiliste.

Pierre Alary : C’est la vision de son époque. C’est la projection du romancier.

Comme s’est passé la relation avec Patrice Louinet ?
Pierre Alary : On n’en a pas eu. C’était plutôt avec l’éditeur. Celui-ci faisait le lien entre la collection et nous. Il était là en amont.

Ronan Toulhoat : C’est plutôt les scénaristes qui ont eu des rapports avec lui. Vincent, comme Jean-David Morvan ont eu un mémo pour rappeler qui est Conan, ce qu’il faut faire ou pas. Pour Vincent, ce qui était dedans était assez évident. Quand il a lu les nouvelles, c’était ce qu’il s’était projeté, ça lui semblait assez évident. Pour d’autres scénaristes, ce rappel a du être nécessaire.

Avez-vous choisi le récit que vous avez illustré ?
Pierre Alary : Je n’ai pas choisi le récit mais j’ai choisi la position. A la base, je devais être sur un autre récit, écrit par Patrice Louinet. Le dessinateur prévu sur le récit de Jean-David Morvan s’est désisté et je me suis permis de me proposer sur le projet. Il a accepté et ça m’a permis de me retrouver dans le peloton des premières sorties plutôt que des dernières. Sur des séries au long terme comme celles-ci, ça peut être intéressant.

Ronan Toulhoat :  Quand nous sommes arrivés sur la collection, nous étions parmi les derniers et Glénat nous a proposé trois nouvelles. Elles ne nous plaisaient pas. Par contre, nous avions lu tout l’oeuvre d’Howard sur Conan et la nouvelle Le Colosse Noir nous intéressait. Elle n’était pas non plus dans le choix de Glénat. On leur a dit qu’on voulait travailler sur celle-là, sinon ce ,’était pas la peine. Ils ont accepté et on a commencé à travailler. La nouvelle regroupait plusieurs choses qui nous intéressait. Il y avait cette notion du personnage qui partait de rien pour devenir général du jour au lendemain. Il y avait cet aspect politique avec la princesse et ce côté très épique de la bataille. C’était la première fois que je me confrontais à une gestion de bataille. Ça me sortait de ma zone de confort. Je revenais aussi au franco-belge après pas mal de temps  sur du format comics, donc cet ensemble était intéressant.

Pierre Alary : De mon côté, comme Jean-David Morvan est le directeur de collection, je pense qu’il a choisi en premier. La Reine de la Côte Noire  n’est pas la pire des nouvelles de Conan, parce qu’il rencontre son seul grand amour. La faiblesse de Conan, c’est dans cette nouvelle. Par contre,  il y a une chose qui me plaisait bien, c’était les hyènes géantes. Jean-David Morvan ne les a pas mis et c’est dommage. Je les ferai dans le deuxième tome (rires).

Comment aborder une énième adaptation de Conan ?
Pierre Alary :  Il ne faut pas dessiner à la façon de Frazetta ou celle de Buscema, parce que c’est juste impossible. L’idée des directeurs de collection, c’était de prendre des dessinateurs avec des styles différents, pour que chacun le fasse à sa façon. S’ils avaient pris le dessinateur de L’Agent 212, Ils auraient voulu le voir avec un gros nez (rires). Il ne va pas se forcer à faire du réalisme. C’est l’idée aussi de la collection.

Ronan Toulhoat : Il faut se faire plaisir avant tout.

Comment s’approprier un personnage iconique qui puisse plaire aux lecteurs ?
Pierre Alary : On n’en sait rien. Les lecteurs auront le choix entre quinze Conan différents. Certains vont se vendre à quinze mille exemplaires et d’autres à deux mille.

Ronan Toulhoat :  J’ai vu sur les forums que certains n’aimaient pas mon Conan et préféraient celui d’Anthony Jean…

Pierre Alary :  Qu’ils achètent celui d’Anthony Jean (rires) !

Ronan Toulhoat : Ce ne sont que des one-shot. Ils ne sont pas obligés de prendre toute la collection.

Pierre Alary : Ce qu’il fallait éviter entre nous, c’était une compétition malsaine. Du fait qu’on n’ait pas été mis en contact, ça a fonctionné. Aucun ne nous n’est capable de citer les quinze équipes. On ne s’est pas montrés nos Conan respectifs en les comparant. Chaque équipe a un style différent. Ça permet d’éviter ce genre de conflit interne.

Ronan Toulhoat : Encore une fois, nous n’avions pas lu les comics. On n’était pas dans une sorte d’hommage à la manière de… On s’est fait plaisir avant tout et c’est le principal. Après la notion de se faire plaisir chez un auteur, c’est ce qui est ressenti par le lecteur. Il prendra aussi du plaisir à lire.

En tant que lecteur, est-ce que vous attendez un titre de la collection plus qu’un autre ?
Pierre Alary
:  Je ne connais pas les équipes, mais j’ai une bonne copine, Virginie Augustin, qui m’a montré ce qu’elle a fait. Ça a l’air plutôt beau… Comme d’habitude, on va dire (sourire).

Ronan Toulhoat :  J’attends de voir La Citadelle Ecarlate, dessiné par Etienne Leroux. Je suis curieux aussi de voir ce qu’à fait Didier Cassegrain.

Tous les deux vous avez travaillé sur des personnages mythiques : Sinbad le marin, Moby Dick, Philippe Auguste, Tancrède, Sherlock Holmes, etc. A quand des gens simples ?
Ronan Toulhoat : Au travers de ses personnages qui sont épiques, presque mythologiques, on essaie de raconter des histoires d’hommes simples, parce que ce sont des hommes avant tout.

Pierre Alary : Adapter des personnages « iconiques », c’est vrai que ça fait partie aussi du travail quand tu fais de la bande dessinée, c’est d’aller au-delà de l’ordinaire. En tout cas pour Ronan et moi, pas pour tout le monde. C’est comme faire du cinéma, de l’aventure, voir de l’extraordinaire. Si en plus,  tu as l’occasion de te frotter à des personnages qui font partie de la culture, c’est assez excitant. Tu te dis, que toi aussi tu fais partie de ta propre histoire. Pour Conan, je fais partie des personnages qui ont fait du Conan ! C’est génial !

Merci à la librairie Critic d’avoir permis cette rencontre ainsi qu’à la responsable événementielle des éditions Glénat.
Une interview enregistrée sous l’influence du fond sonore : La bande originale du film Conan Le Barbare par Basil Poledouris.

 

 

RENCONTRE AVEC LES AUTEURS DE NARAGAM

A l’occasion de la sortie du troisième tome de Naragam, nous avons rencontré les auteurs de cette trilogie. On y parle surf, villes en ruines, Télérama et fantasy…

Mike et Michael Le Galli. Un grand, un petit, un brun un blond surfer… Les Laurel et Hardy de la bande dessinée ?

Michael : Essaie de te souvenir qui fait Laurel, qui fait Hardy. Il n’y a pas de petit dans ce duo, parce que Stan Laurel est grand et filiforme.  A l’opposé de Hardy, qui est corpulent. Tu fais le corpulent ?

Mike : Oui, je vais faire çà.. (rires). On ne le sait pas, mais Hardy était surfeur.

Michaël : On l’appelait Le Hardi ! (rires)

Si vous vous connaissez depuis de longues années, vous n’avez que deux collaborations ensemble. Pourquoi ?

Mike : Ce sont des collaborations au long cours. Naragam, c’est un projet qui dure depuis cinq ans . On a commencé les premiers croquis en 2013. Pour La Guerre des OGM, on a travaillé dessus pendant près de quinze mois.

Pour Naragam, qui a initié le projet ?

Michaël : C’est moi ! Quand je venais à Brest, je passais dire bonjour à Mike. S’il n’y avait pas les illustrations liées à Naragam, il avait des book remplis de dessins extraordinaires. On avait au moins quatre books avec ces personnages incroyables. D’ailleurs certains de ces dessins sont dans les recherches du premier tome. Un jour, je lui ai dit que j’empruntais ces books et qu’avec je ferai une histoire… Il a commencé à blêmir, il ne voulait pas que je parte avec (rires). Je voulais m’inspirer de ses personnages, de son univers graphique, pour raconter une histoire.

Mike : Pour la petite histoire, je n’ai pas tout de suite voulu

Michaël : Tu voulais optimiser ton rapport dessin/temps de réalisation, vu que tout était réalisé au crayon.

Mike : Çà c’était en 2011 et j’ai fait les Death Squad. Michaël est revenu à la charge après.

Michaël : Si Mike voulait recollaborer, j’étais partant pour voyager dans cet univers graphique.

Mike : Michaël m’a recontacté un été. Il avait une base d’histoire. Tu te souviens ? Il y avait un micro-synopsis écrit sur une page de Télérama,…

Michaël : … Que j’avais écrit à la plage (rires).

Mike : Il m’a demandé ce que j’en pensais. J’étais partant. Par contre, on pensait en faire un one-shot en noir et blanc.

Peut-on dire que c’est une co-création ?

Premières versions de Geön

Michaël :  C’est une création à partir de l’univers graphique de Mike.

Mike : Ça a été une création commune. On s’est nourri l’un et l’autre.

Mike : Ça s’est créé à partir de mes dessins. Il y avait une chose de Michaël aimait bien. Il appelait çà, les compressions. Ce sont toutes ces images de cadavres de titans. Dès les premiers échanges, il voulait organiser la bande dessinée autour de ces illustrations. Ensuite, l’histoire s’est étoffé autour de Geön, de Sajiral, etc…

Mike : Avec Michaël, on voulait quelque chose qui sorte de l’ordinaire. Pendant près de trois mois, je n’ai fait que des recherches de design.

Michaël : On voulait des pleine pages, des double-pages, On voulait retrouver l’univers graphique de Mike tout en évitant les poncifs de la fantasy : Nains, elfes, etc.

Mike  : Pour le personnage principal, Geön, on s’est inspiré d’un de mes autres livres d’illustrations : Bestiaire des Trois Terres.

Michaël : Geön était dessiné des milliers fois. Sur  270 pages, il était présent dans toutes les cases ou presque. Il fallait qu’on trouve un personnage qui puisse exprimer un certain nombre d’émotions graphiquement, mais aussi  qui soit rapide et facile à dessiner.

Mike : Je voyais un personnage rond, parce qu’on va plus facilement vers ce qui est rond, alors que Sajiral, c’est le contraire. Il est tout en longueur.

Michaël : Geön aurait été plus dur, plus sévère si on avait retenu la première version…. Quelque part, la personnalité de Geön a rejoint son physique. Il est devenu peut-être plus naïf que ce qu’il aurait pu être. C’est intéressant. Ça induit les événements, les réactions des personnages.

Il y a un troisième auteur : Josselin Paris. Il a fait les couleurs. Comment est-il arrivé dans cette aventure ?

Mike : Nous avions déjà collaboré ensemble sur l’album des  Death Squad paru aux Editions Delcourt , Josselin ayant réalisé les couleurs dudit album. J’avais beaucoup aimé son travail notamment au niveaux des ambiances, de la lumière dans certaines cases des Death Squad et j’avais vu aussi certaines de ses illustrations personnelles publiées sur son blog. Quand le projet Naragam a commencé à vraiment prendre forme, c’est tout naturellement que je me suis tourné vers lui. Dans mes souvenirs, Josselin avait dû coloriser trois ou quatre pages, plus la colorisation des croquis de personnages quand nous avions monté le projet. Josselin avait réalisé les essais couleurs sur les pages en couleur infographique avec un résultat très proche d’une technique d’encres aquarelles ou de peintures et cela m’avait immédiatement séduit. Et pas que moi je crois !

Michaël :  Il a fait un travail magnifique. Le dessin de Mike est si dense, si puissant qu’il est compliqué de faire des couleurs.

Mike : On en parlait encore récemment. Avec Josselin, nous passons beaucoup de temps pour les réglages, pour conserver le grisé du crayonné. Au niveau des teintes, il a proposé de bonnes idées. Quelquefois, j’avais des idées précises sur l’ambiance. Je faisais des captures d’écrans de films, par exemple. Par contre, il avait aussi des idées. Avec la page d’introduction du premier tome, il réussit à nous faire rentrer dedans rapidement.

Michaël : Sur les trois tomes, il y a une vraie progression. Une véritable adéquation entre les dessins et la couleur.

Mike : Le premier tome en a subi les frais. Il fallait se caler. Ensuite, on a retravaillé dessus ensemble.

Exemple de mise en couleur par Josselin Paris

Sur le dessin, on peut voir des influences de H.R.Giger, Mike Mignola, Frank Frazetta, Bernie Wrightson… Ce sont des ambiances sombres. Pourquoi être attiré par le côté obscur de la force (ndlr : La rencontre a été faite le 4 mai jour du Star Wars Day)

Mike : C’est une histoire de personnalité. C’est attirant. Il se passe des choses, on ressent une part de mystère. Ça permet aussi une sacrée marge de manœuvre dans la création. Le réalisme me fige complètement au niveau créatif. Dès que ça devient sombre, ça devient moins compliqué à faire. C’est un univers qui me porte énormément. C’est aussi pour çà que j’apprécie ce que fait Mike Mignola. Ses univers sont contrastés, c’est en noir et blanc. Quand je prends quelque chose de Mignola, je le prends en noir et blanc. Je suis aussi nourri à çà. Je lisais des illustrés comme Spectral, etc. Ça a du m’influencer.

Michaël, c’est un univers sombre que tu as voulu développer.  Comment raconter un univers sombre qui ne soit pas dépressif ? 

Michaël :  On y tombe ! Dans le premier tome, Geön est confronté à une forme de mélancolie. C’est comme une forme de dépression. Son personnage veut tout comprendre, tout savoir et c’est une quête sans fin, même s’il reste optimiste. C’est cette envie qui lui donne de l’énergie pour repartir, d’aller de l’avant, tout en ayant cette candeur. A la fin, il partage son savoir.

Tu avais déjà scénarisé de la fantasy, mais ici, il est question de dark-fantasy. Etais-tu un habitué de ce genre ?

Michaël : Oui. Je lis aussi bien la high-fantasy que la dark-fantasy. J’aime beaucoup ce genre et j’en lis régulièrement.

S’approprier l’univers graphique d’un auteur pour en faire un scénario, n’est-ce pas revenir à tes études : L’ethnologie ?

Michaël :  Non. L’univers est uniquement graphique, Il n’est pas nourri d’histoire, de culture, etc. A aucun moment, dans les books de Mike, il y a des indications qui permettraient de définir une culture. J’invente tout. La structuration de la société, les Derkomaï, les Twörb, etc. Je m’approprie l’univers graphique, mais c’est moi qui apporte l’univers narratif, celui dans lequel vont évoluer les personnages.

Mike, comment as tu ressenti, cet univers narratif à partir de ton univers graphique ?

Mike : Ça s’est fait naturellement, ça collait bien. Nous avons discuté ensemble sur les habitations, sur  les différentes races, mais il n’y a eu aucun problème particulier.

Michaël : Ensuite, il y a des choses étonnantes dans l’histoire. Certains moments auraient pu être différents. Par exemple, Mike ne voulait pas dessiner de ville….

Mike : … Ou alors… En ruine !

Michaël : Ou en ruine ! Ça induit le scénario. La cité de Drëk,… Mike ne voulait dessiner aucun habitant. J’ai du trouver une astuce. Finalement, cette solution est meilleure que la première version de l’histoire. où on visitait la ville. Souvent je partais des contraintes de Mike pour construire mon scénario.


D’où viennent l’origine des noms ? Pour Naragam, j’ai trouvé des origines indiennes, un satellite météo, etc…

Michaël : Nous sommes dans un univers imaginaire total donc je cherche et je me laisse dériver. Pour les Twörb, nous sommes dans les marais, donc c’est la tourbe, ensuite tu cherches quelque chose, une sonorité, une petite musique dans le nom…

Mike : Sajiral devait s’appeler Diabal. Michaël m’avait demandé mais je trouvais que ça sonnait trop comme « diable ». Il m’a proposé « Saji-râ » et je trouvais qu’il fallait garder la sonorité « al ». Maintenant, on trouve çà évident, les noms collent très bien aux personnages. Bròg, c’est génial, comme nom !

Michäel : Les noms viennent aussi comme çà.  Tu vois un animal,  tu cherches le nom latin, tu dérives la racine, etc.

Mike : Pour Bestiaire des Trois Terres, je cherchais des noms à consonances scandinaves. On regarde, on recherche, on s’inspire.

Tout le dessin se fait au crayon, donc un travail long et ardu. Pourquoi ne pas passer à une autre technique ?

Mike : Je n’aurai pas eu le même rendu. J’ai deux books. Le premier avec des dessins crayonnés, l’autre avec des dessins encrés et ce n’est pas la même chose. Je travaille au crayon papier, avec différentes valeurs de gris. Il y a plusieurs crayons. Je travaille avec des mines de 0,5mm et je les taille en biseau, pour avoir un rendu très fin. J’utilise aussi des mines de 0,3mm. Le rendu se rapproche de la gravure sur certaines pages originales, mais c’est très long. Pour gagner du temps, je travaille sur du petit format, le A4. Les double-pages, je les fais au format A3, mais ça demande quatre jours de travail.
Pour revenir à ta question, je n’aurai pas pu passer à une autre technique en cours de route, mais c’est çà qui avait séduit l’éditeur, la qualité des crayonnés.

RENCONTRE AVEC LES EDITIONS BLACK AND WHITE

bwEn 2012, une annonce sur Internet remue le cœur des bédéphiles. Une petite structure allait sortir l’intégrale de Photonik. Rencontre avec des passionnés.

Retrouvez Les rencontres de Temps de Livres sur podCloud

Le site des éditions Black and White

Vous pouvez aussi écouter la rencontre sur YouTube

RENCONTRE AVEC ERIC HERENGUEL

Eric-HerenguelConnu pour son amour des moteurs, pour son vaste registre de séries, Eric Herenguel se dévoile entre un repas et des dédicaces.

Et n’oubliez pas YouTube

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Vous pouvez suivre Eric Herenguel sur sa page Facebook, sur son blog

RENCONTRE AVEC BERTRAND GALIC

Bertrand-GalicBertrand Galic. La prononciation du nom sonne celtique. Pour le jeune auteur, la première publication est un défi : L’adaptation du chef-d’oeuvre de Pierre-Jakez Hélias :  Le Cheval d’Orgueil. Mais qui est Bertrand Galic. Interview d’un nouvel auteur, entre bande dessinée, histoire(s) et Bretagne.

Tu m’as donné rendez-vous au Tara Inn. Pourquoi avoir choisi cet endroit ?

Parce que le port de commerce m’inspire. C’est un des endroits de Brest que je préfère. J’aime particulièrement les ports et les places. On y trouve des ambiances particulières. Le port de commerce j’y viens depuis que je suis tout-petit. J’y suis venu avec mes grands-parents, mes parents et il y a cette ambiance, cet air particulier que j’adore.

Tu enseignes au collège Kerhallet et tu as crée une section bande dessinée. Qu’est-ce donc ?

Ca a été crée il y a trois ans. En gros, des élèves de cinquième racontent des histoires sur trois, quatre planches de bande dessinée en suivant le processus des professionnels : trouver l’idée, écrire le scénario, crayonner, encrer, mise en couleur, etc. On fait venir des auteurs dans la classe pour pouvoir échanger, pour avoir des conseils aussi. C’est un projet d’ouverture. Je pense que la bande dessinée peut amener à plein de choses, comme la lecture et le monde des arts en général.

Quand tu parles de ce projet et de la bande dessinée dans l’enseignement, tu cites Astérix, Alix… Pourquoi ne pas choisir des exemples plus récents ?

(Rires). Je ne sais pas où j’ai pu citer Astérix et Alix, mais c’est vrai qu’il existe des exemples plus récents. On peut citer Fabien Nury ou François Bourgeon qui m’ont marqué une époque aussi.

Tu fais partie de l’association Brest en Bulles, organisateur du festival de Loperhet (2eme festival de Bretagne). Qu’est ce que ca t’a apporté vis à vis de tes projets d’auteurs ?

J’ai eu des ouvertures, des échanges, des rencontres comme avec Marc Lizano (dessinateur sur Le Cheval d’Orgueil). Ca m’a donné envie de m’y mettre.

Es-tu prêt à passer de l’autre côté du stand, pour signer les dédicaces?

Oui, ça va, même si je ne me suis pas entraîné.

Pour toi, qui est Kris ? Un ami, un mentor, un maître qu’on va dépasser ?

Kris, je le connais depuis une vingtaine d’années. On était en faculté d’histoire ensemble. (On y a fait les 400 coups dans la fac et autour). C’est un collègue de travail, mais c’est d’abord un ami.

Kris et toi, vous êtes de Brest, vous avez fait la faculté d’histoire, vous avez deux enfants… Qui a copié l’autre ?

(d’un air faussement sérieux) On dira que c’est moi. Je suis le plus jeune.
(ndlr : Kris a répondu : C’est lui, je suis le plus vieux)

Tu enseignes l’histoire et tu la racontes. Comment la rendre crédible quand on sait qu’elle est écrite par les vainqueurs ?

Raconter les vaincus, c’est pas mal aussi.

Cette Histoire, n’est qu’une projection déformée de la réalité en bande dessinée. Comment ne pas la trahir ?

C’est quelque chose qui est difficile, qui pose beaucoup de questions. On a eu l’exemple avec Un Maillot pour L’Algérie (parution en avril 2016 aux éditions Dupuis). Je pense que l’essentiel est de ne pas trahir, de conserver l’esprit. On va commettre des petites erreurs, même avec beaucoup de documentation, mais l’important c’est de ne pas trahir l’esprit.

Des futures parutions, une partie est en co-scénario avec Kris, l’autre est de ta plume. Quel est le plus facile ?

Les deux sont faciles et difficiles en même temps. Ce n’est pas le même travail. On se posait la question avec Kris, il y a quelques jours. On se disait qu’on ne gagnait pas forcement du temps à travailler à deux, mais au final, les dialogues, le récit semblent plus justes. Les lecteurs nous le diront.

Si les différents thèmes qui ressortent de ces futures parutions sont le voyage, les histoires, la Bretagne (voire Brest), on ressent un côté social, militant. Est-ce un hasard ?

Non, ce n’est pas un hasard. Je pense qu’on pourra dire plus tard que j’ai été quelqu’un d’engagé dans mes écrits. J’ai toujours été au sein d’associations depuis que je suis assez jeune.

Comment vois tu l’avenir ? Auteur à temps complet ou enseignant et auteur ?

Je suis dans une phase de transition. Depuis deux, trois ans, j’ai réduit mon temps d’enseignement. Je ne sais pas trop encore. Ca dépendra de l’accueil des livres et j’aime bien être professeur. C’est une question difficile. Je ne peux pâs te répondre pour l’instant.

Le premier album qui sort c’est Le Cheval d’Orgueil. Au vu des différentes interviews, le projet semblait couler de source. Alors que c’est la seule adaptation en bande dessinée.

Ca aurait pu être difficile, mais nous avons eu un accueil enthousiaste des ayants-droits. On a rencontre Claudette Hélias à plusieurs reprises avec Marc. C’est la fille de Pierre Jakez-Hélias. On nous a fait confiance. On espère que le résultat ne les décevra pas.

J’ai lu qu’il y aurait une adaptation en breton ?

Il n’y a rien de sûr pour l’instant. Nous, on a très envie. Je pense que c’est partagé avec notre éditeur (Soleil) . Maintenant on discute et on croise les doigts.

Maintenant que la bande dessinée Le Cheval d’Orgueil va être une réalité. En fier représentant de la culture bretonne donc celtique, vas-tu porter le kilt ?

(Rires) Seulement si j’ai le droit de ne pas mettre de slip.

Merci à Bertrand Galic pour sa disponibilité et sa sympathie envers cette rencontre atypique.

RENCONTRE AVEC BABELIO

babelioPour la première fois, l’équipe de Babelio se rendait sur le festival Quai des Bulles. C’était l’occasion de les rencontrer. C’est Guillaume Teisseire, l’un des créateurs, qui a répondu à mes questions.

Retrouvez la plateforme Babelio sur leur site

Merci à Guillaume et à son équipe d’avoir répondu à mes questions.

RENCONTRE AVEC JOËL PARNOTTE

maitre-armesCette année, à la suite de la lecture du Maître d’Armes, je me suis engagé dans un duo vidéo avec l’équipe d’Un Amour de BD. Nous avons rencontre le dessinateur Joël Parnotte. Il s’est montré très sympathique face à l’interview et nous a confié les secrets de fabrications de l’album ainsi que… Mais je vous laisse visionner la rencontre…
J’en profite pour remercier Joël Parnotte, les éditions Dargaud. Un grand merci à Jacques Viel (créateur du site Un Amour de BD) pour son invitation à participer et son travail sur la préparation et le rendu final.