RENCONTRE AVEC ESTELLE VAGNER

Ou l’on parle de ranger la bibliothèque, de l’enfer du logiciel Word, d’Highlander et de Pokemon, du petit bonus de la dédicace, d’art lyrique et de rock.
Estelle Vagner n’a pas fini de nous étonner.

Le logo de Maman le jour, Autrice la nuit, la série dont on parle dans la rencontre.

Vous pouvez retrouver Estelle Vagner sur Instagram et Facebook, ainsi que son site.

Ses livres sont disponibles aux Editions du Chat Noir.

Merci à Estelle Vagner pour sa disponibilité, son humour et sa bonne humeur.
Merci à Estelle Faye pour la question posée.

RENCONTRE AVEC ANDORYSS

Où l’on parle d’architectes et de jardiniers, d’égalité femmes/hommes, d’un roman commencé en cinquième, de l’amour de la littérature et de l’écriture. Andoryss/Mélanie Guyard à plusieurs cordes à son harpe. Elle est à découvrir.

(c) Chloé Vollmer-Lo

Tout a commencé sur deux forums : Cocyclics et le Café Salé. L’un est pour les écrivains, l’autre pour les illustrateurs. Mais es-tu illustratrice? 

Andoryss : Non (rires), mais quand je suis allée sur le forum la première fois, c’était à l’initiative d’un pote qui est dessinateur. À l’époque, il n’y avait pas de scénariste sur le forum, mais ça s’est démocratisé. J’ai pu commencer mes collaborations sur le Café Salé. On a vu notamment sur le forum Julien Blondel, Olivier Henriot, etc. 

Mais il arrive que tu illustres aussi, n’est-ce pas ?  

Andoryss : Ça m’arrive de dessiner, j’aime bien ça, mais je n’ai pas les techniques de base. Je n’arrive pas à reproduire deux fois le même visage, mais je suis capable de dessiner n’importe quel animal avec un niveau scolaire… Et je dessine des femmes de trois quarts face, type manga, comme tout le monde (rires).

Peut-on résumer ta vie professionnelle à deux instants ? Quand adolescente, un cahier 24 × 32 se retrouve par erreur dans la liste des courses, ce qui donnera Les Loups puis ta rencontre avec David Chauvel, ton boss bien-aimé (dixit toi-même).

Andoryss : Tout à fait ! Ce sont deux moments clés !

Quand tu parles de comics, tu cites Watchmen et V pour Vendetta, les deux titres sont d’Alan Moore, un auteur qu’admire David Chauvel. Est-ce que ça a permis un rapprochement entre vous deux ?

Andoryss : Oui. On avait publié sur le site du Café Salé des planches des Enfants d’Evernight (1). David demande à nous rencontrer, mais ce qui l’intéresse en premier, ce sont les dessins… Comme toute personne qui fait de la bande dessinée. On commence à discuter et très rapidement, on se rend compte avec David qu’on a des univers en commun. Très rapidement, il va me proposer de travailler sur d’autres projets. J’ai travaillé sur Sept Naufragés (2) l’année qui suit Les Enfants d’Evernight. Je suis une jeune autrice et Sept est une grosse série, mais il me met dans la barque ! C’est lui aussi qui m’offre la possibilité d’écrire Le Cercle (3). Je lui suis reconnaissante. Oui, ça a été un bon point pour David, le fait qu’Alan Moore  soit l’un de mes maîtres.

Tu es plutôt littéraire mais tu deviens professeure de SVT, alors que tu aurais pu devenir aussi bien professeure d’histoire, vu que la plupart de tes récits en est imprégné. Pourquoi cette voie ?

Andoryss : Je suis au lycée et je suis douée en français. J’aime ça. Je m’approprie le commentaire composé. Je n’ai jamais eu moins de quinze à un commentaire composé. Après, je suis monotâche, je n’aime que le commentaire composé. L’essai ou le texte argumentatif, ça ne marche pas. J’ai 20 à l’écrit du bac de français, 19 à l’oral… Je ne savais même pas que je pouvais avoir 20 à l’écrit du bac de français ! Ma professeure de français me voit bien en khâgne ou hypokhâgne. Je me dis que j’ai prouvé ce que j’avais à prouver : je sais écrire ! En même temps, je ne suis pas une compétitrice, je suis incapable d’être dans l’opposition ou d’être dans le conflit avec qui que ce soit. Je n’ai rien à faire en classe prépa, les professeurs vont me rentrer dedans et je vais me rouler en boule en pleurant. Je vais me dégoûter toute seule d’un truc que j’aime d’amour, à savoir, la littérature. Du coup, comme j’ai peur, je me dis que je ne vais pas faire ça, je vais plutôt faire des études de sciences parce qu’il n’y a pas d’affect dans la relation à la matière. Je vais garder le français pour mon temps personnel, pas comme quelque chose où il y a des enjeux et de la compétition. C’est pour ça que je me retrouve à être prof de bio : parce que j’ai eu peur de la classe prépa. J’en ai croisé des auteurs qui ont été brûlé plusieurs années, après leurs classes prépas. Ils se sont dit qu’ils n’arriveraient jamais à écrire et ils ont eu beaucoup de mal à sortir de cet état d’inertie.

Tu écris des romans, des scénarios, du jeu de rôle… Tu n’arrêtes pas.

Andoryss : J’écris tout le temps et à partir de cette année, je vais faire aussi du jeu vidéo. Je dis que ce n’est plus un arc que j’ai, c’est une harpe. À force de rajouter des cordes… On peut raconter des histoires sous plein de médias différents et seule la technicité diffère. Raconter une histoire en bande dessinée ou en roman ou en jeu vidéo, c’est toujours raconter une histoire avec une technique différente et apprendre de nouvelles techniques, c’est quelque chose qui m’intéresse.

Justement, quand tu te présentes, tu dis écrire pour la jeunesse, pour les adultes, pour la bande dessinée. Pourquoi cette différence entre les genres ? Tu écris, tu racontes des histoires…

Andoryss : Je suis d’accord, je suis autrice, j’écris. Néanmoins, je trouve que cette distinction permet effectivement de toucher différents publics. Certains vont être intéressé par les romans jeunesse, d’autres par les bandes dessinées, etc. Si je me contentais de dire « je suis autrice », je ne leur donne pas les billes pour interagir avec moi. Quand je multiplie les supports, je leur donne les billes pour interagir avec moi et j’adore quand les gens interagissent avec moi.

Pourquoi une distinction entre Andoryss, Mel Andoryss et Mélanie Guyard ? 

Andoryss : Je pense que le nom de l’autrice (moi en l’occurrence) doit autant refléter le contenu du livre que le titre de celui-ci. Ça ne me dérange pas d’avoir vingt millions de pseudos car ma plume est différente selon ce que je raconte et certains bouquins trouveront mieux leur public si je n’utilise pas tel ou tel pseudo. Les âmes silencieuses (4) ne se serait pas bien vendu si j’avais laissé Mel Andoryss dessus, parce que le public aurait cru à quelque chose de bizarre. C’est un roman de littérature générale et Mélanie Guyard ça leur parle plus.

Tu vas écrire un jeu vidéo ? Peux-tu nous en dire plus ?

Andoryss : J’ai été recrutée par la région Picardie pour écrire un jeu vidéo autour du pays du coquelicot . Je le fais avec Clément Lefèvre  et Pixel Hunt. Pour réaliser ce projet, on va travailler deux ans dessus, en résidence ponctuelle.

Les projets ne s’arrêtent jamais chez toi. Ils portent tous des codes secrets : « Sang, Benedict, Les Loups » etc. Pourquoi mettre des codes ? Pourquoi ne jamais s’arrêter d’avoir des projets ? 

Andoryss : Je mets des codes car je suis un peu superstitieuse. Le projet ne reçoit son nom définitif que lorsqu’il est terminé. J’utilise des codes tant que le projet est en travail. Notamment pour le projet « Sa Collab ». Le titre original était Sa Collaboration. Il a changé en cours de route pour devenir Les âmes silencieuses… Il paraît que Sa collaboration ne faisait pas vendre (rires). Au final, on se retrouve avec des codes qui sont bien différents du projet final. Si certains projets restent à l’état de projets, c’est parce qu’ils n’ont pas trouvé d’éditeur mais ils ont à vocation d’être publiés quand même. 

Entre tes projets et les parutions, il se passe beaucoup de temps : quatre, cinq, voire dix ans. Pourquoi autant de temps entre la première pensée et le livre, voire le manuscrit ?

Andoryss : Prenons mon Grand Œuvre, avec des majuscules à tous les mots, qui n’est absolument pas paru, qui s’appelle « Les loups ». La première fois que je l’ai écrit, j’étais en cinquième. Il avait besoin d’être réécrit (rires). À l’heure actuelle, il a été réécrit treize fois… De mémoire, je dois être à la version 13.1.5 pour des raisons qui ne regardent que moi. Je ne pense pas qu’il y aura une version 14. Le premier volume a l’air pas mal… Néanmoins, je me réserve le droit de revenir sur cette déclaration quand j’aurai écrit les six volumes. Du fait de sa taille et de son contenu, comme il y a six tomes de prévus, les éditeurs n’en veulent pas. C’est trop gros, c’est inclassable : Ce n’est pas du polar, ce n’est pas de l’enquête, ce n’est pas de la jeunesse mais ce n’est pas non plus de l’adulte. Si je publiais ce bouquin-là, les éditeurs ne sauraient pas où le mettre et les libraires ne sauraient pas où le placer. Comme ça se passe dans les années 1990, je commence à avoir un décalage temporel de folle furieuse. Actuellement, la mode est encore aux années 1980, j’attends encore vingt ans, ce sera les années 1990, on sera pile-poil dedans. Je le sors à ce moment-là, on est bien ! Il y a d’autres projets qui prennent du temps. Je les ai écrits, ils ont besoin d’être réécrits, mais je n’ai pas le temps. Je favorise les projets signés et j’écris sur mon temps libre les projets non-signés, mais qui prennent du temps avant de sortir. Il y a notamment un projet du nom de code : « Odyssée » sur lequel je bosse depuis dix ans. C’est un roman de fantasy jeunesse animalière du type Brisby et le secret de NIMH, avec une société de souris. Je l’aime d’amour, il est séquencé, je ne l’écris que quand j’ai du temps libre, ça fait trois ans qu’il est commencé.

Comment évolue le cycle des « Loups » ? Une double saga familiale dans le milieu de la mafia, que tu as prévue en six volumes et sur laquelle tu travailles depuis plus de dix ans ?

Andoryss : « Les Loups », c’est mon Grand Œuvre, c’est le roman pour lequel j’écris tout le reste. Tous les autres romans n’avaient pour vocation que d’aiguiser ma plume pour « Les Loups ». Alors derrière j’ai publié, d’autres histoires se sont imposées, mais la première motivation qui m’a amené à écrire d’autres histoires, c’était pour améliorer ma plume afin d’écrire cette saga. Je pense que « Les Loups » sont dans ma bibliographie ce que La Tour Sombre est dans la bibliographie de Stephen King. C’est l’œuvre pour laquelle j’ai vécu mon écriture, c’est l’œuvre pour laquelle j’écris, mais en même temps, c’est celle qui est la plus inaccessible à mon public. Je l’ai fait lire à des bêta-lecteurs et j’ai une réaction de 50/50. Soit les gens aiment et ils sont fans, ils attendent la suite. Soit ils n’accrochent pas tout en aimant le reste de ce que je fais. J’ai beaucoup de pression de la part de ceux qui ont aimé. Je travaille beaucoup sur les secrets de famille et sur les interactions des héritages. Les lecteurs développent une forme d’addiction, ils veulent connaître la suite des secrets de famille.  Je ne pense pas que j’arrêterai d’écrire, mais c’est la fin de mon premier cercle, en sachant que tout ce que j’écris a pour vocation de m’aider à faire sortir « Les Loups ».

Tu t’intéresses à l’interaction des personnages, à la famille. Pourquoi ? C’est un thème qu’on retrouve dans tous tes livres. 

Andoryss : Je suis absolument passionnée par un thème : l’héritage familial. Comment les enfants se débrouillent avec ce qu’ont fait leurs parents, des choix de leurs parents ou de leurs grands-parents. Tu nais dans une famille et tu en portes le poids. Quel que soit le roman dont je parle, le thème est toujours le même. C’est fascinant parce qu’il me semble que c’est un équilibre dans lequel on peut tout faire. C’est vraiment un jeu dont vous êtes le héros ! On a plein de voix, de réactions par rapport aux situations familiales qui nous sont imposées. On a l’acceptation, la vengeance, la résilience… On va même polluer les réactions familiales en réaction au passif qui nous pèse dessus. Il y a plein de façons de faire et je trouve qu’explorer ces différentes réactions c’est fascinant.

Dans tes univers, il y a une chose qu’on retrouve systématiquement : une clef. Pourquoi ? 

Andoryss : À cause des loups ? (rires) C’est le premier élément de mon imaginaire. La première héroïne que j’ai créée s’appelle Jo, c’est un personnage des « Loups ». Je l’ai créée quand j’avais huit ans et elle avait une clef en argent autour du cou. Or, je trouve sur un marché la clef que j’ai imaginé. Je demande à l’avoir pour Noël. On me répond non et en fait, au matin de Noël, la clef est au pied du sapin… Le premier miracle de Noël ! Je la porte toujours. Elle a été fondamentale dans ma création d’univers. Je trouve que la symbolique de la clef est très forte et comme c’est cette clef qui a été à l’origine de tout, que ce soit mes personnages, mes histoires, elle représente la pierre fondamentale sur laquelle j’ai construit mon édifice. 

La clé d’Andoryss

Quand tu parles de tes personnages, tu dis : « Je n’aime pas avoir un héros, parce que je crois moyennement à l’héroïsme individuel, alors que j’ai une foi inébranlable en la force du groupe. » Donc tu ne crois pas à L’architective ou au Passageur…

Andoryss : Ce n’est pas vrai ! Même si ce sont des héros individuels, ils sont forcément accompagnés. Armand (un personnage de L’Architective (5), ndlr) a un ami qui le soutient et Malaurie qui arrive au cours du roman va participer à ce soutien. Même si ses parents sont aux abonnés absents et c’était une caractéristique voulue au moment où j’ai créé le bouquin, il n’est pas seul. Quant à Matéo (un personnage du Passageur (6), ndlr) il dispose de son frère et de sa soeur qui participent à son travail. Il a aussi la communauté Rom à laquelle il appartient et qui lui permet d’avoir un point de repère pour la suite.

Tu n’aimes pas les sauts de temporalité, mais tu écris des livres qui parlent d’espace-temps. C’est paradoxal !

Andoryss : En fait, je n’aime pas les sauts de temporalité intra-récit. Je sais exactement d’où vient cette réflexion. Elle vient des Princes d’Ambres (de Roger Zelazny, ndlr). Quand j’ai lu  « Les 20 années suivantes… », etc. j’ai lâché le bouquin. Non ! Je refuse ce genre de choses ! Je trouve ça abominable ! Tolkien nous fait traverser toutes les terres brumeuses pendant des pages et des pages… C’est chiant comme la mort. On a envie que Frodon arrive, mais si l’auteur avait écrit  « Ils voyagèrent pendant quarante jours et ils arrivèrent en Mordor. », j’aurais lâché le bouquin de la même façon. On n’a pas le droit de faire ça, c’est une rupture de contrat ! Quand on fait une ellipse, on la fait bien. On ne la fait pas à l’intérieur d’un roman ou alors de façon extrêmement efficace. On a le droit de résumer l’enfance d’un personnage, de faire un prologue et d’embrayer sur la suite, mais les sauts de temporalité c’est très casse-gueule et je n’aime pas quand ils sont mal faits. Je suis désolée de le dire, mais dans Les Princes d’Ambre, c’était très mal fait ! Les gens vont me détester pour ça et ce n’est pas grave ! 

Dans l’histoire de Spider-Man, il y a cette réplique : « De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités », mais chez toi, les personnages ne sont pas infaillibles, ce ne sont pas des super-héros.

Andoryss : Je pense que les super-héros sont super-humains. C’est ça que j’aime beaucoup dans le travail d’Alan Moore, c’est que ces super-héros sont plein de défauts. Dans Watchmen, le comédien est une plaie ! Ils sont tous faillibles ! Docteur Manhattan quand on y regarde de plus près, il a perdu son humanité. Il fait les choses parce qu’il pense que c’est ce que les autres attendent de lui mais il n’a plus d’interaction avec les gens, même plus avec la femme qu’il aime. J’aime les héros faillibles. Dans V pour Vendetta, le héros est déterminé et sa plus grande faille, c’est justement son auto-détermination. Au moment où il se lance dans la lutte, il est déjà en tort par ses méthodes, mais il accepte ça, il emporte le monde avec lui dans sa chute, il accepte de chuter avec le monde. Il le fait très bien, mais ce n’est pas un héros, c’est un monstre ! 

Toi qui n’aime pas l’héroïsme individuel ou qui préfère les héros faillibles, comment as-tu vécu ce déferlement de films de super-héros ?

Andoryss : Comme une explosion de popcorn ? Si on me demande de choisir entre Pitch Black et Iron-Man, je choisis Pitch Black. Mais aller voir un film Marvel ou ce genre de choses, c’est vraiment du popcorn. Je trouve qu’ils ont fait du bon travail. Sur certains aspects, leurs héros sont faillibles. Dans Civil War, Captain America dit qu’il n’est pas d’accord avec ça. Le film lui dit que s’il n’est pas d’accord avec, il devient un méchant. Et Captain America accepte. On voit où Captain America pose ses limites. On a le droit d’être d’accord ou pas, mais il cesse d’être un super-héros parfait. Ça c’est intéressant ! Le seul super-héros parfait, c’est Superman et il est assez insupportable, il faut le savoir. Ce qu’ils ont fait avec les personnages dépasse ce qui avait été fait dans les comics, mais ça rejoint ce qui a été fait depuis. Il y a toute une génération dans les années 1990 qui s’est amusée à challenger les limites des super-héros et à détruire leur aura. Même si Marvel s’est inspiré de la genèse officielle de ses super-héros, ils ont accepté de garder cette part d’ombre, là où dans les années 1980, on restait sur des super-héros intouchables et parfaits.

Tu détestes faire des recherches. Alors explique-moi cette phrase de David Chauvel : « Andoryss, la scénariste, adore ce genre de choses. C’est une créatrice de mondes, capable de dessiner des plans, des cartes, de définir la faune, la flore ou la toponymie d’un monde imaginaire. c’est un de ses nombreux et indispensables apports au projet. » On parle évidemment des 5 Terres. (7) 

Andoryss : Il y a une nette différence à passer des heures à chercher des faits réalistes et inventer ex nihilo un univers. J’adore inventer un univers. Mais quand je réalise Les 5 Terres, ce n’est pas de la recherche, c’est de l’invention pure. Je me demande comment sont composés les continents. Où sont les fleuves, les villes, les montagnes ? Que mangent-ils ? Quels dieux vénèrent-ils ? Créer un univers, ça m’évite de faire des recherches ! Le premier volume des 5 Terres est sorti, mais nous sommes à l’écriture du septième volume, le dessinateur est sur le troisième volume. Aux alentours du volume 4 ou 5, un des membres de l’équipe s’étonne d’avoir des armures de cuir, alors que ce sont des animaux. D’où vient le cuir dans ce cas ? David a dit : « Je laisse Mélanie répondre »… Et j’ai une réponse ! Je sais d’où vient le cuir, quelle est son économie, qui le fournit, comment il est récupéré, etc. Un des cinq continents fournit en cuir l’intégralité des cinq terres. 

Ton chef vénéré (David Chauvel) te pose cette question : « Cette capacité incroyable que tu as à inventer des personnages, est-ce inné ou acquis ? »

Andoryss : Oh p… c’est chaud comme question ! Je pense que c’est de l’acquis, c’est comme faire de la bicyclette. En fait, je suis une insomniaque chronique. L’un des moyens que j’ai trouvé pour m’endormir quand j’étais adolescente et que j’ai commencé à avoir des troubles du sommeil, c’était de créer un personnage et de le mettre dans un monde. Je regardais comment ça se passait. Le temps qu’il traverse trois rues, je m’endormais. Le lendemain, je récupérais le même personnage dans la troisième rue et j’essayais de voir la suite. Je crée des histoires et des mondes… Pour dormir. À force d’utiliser les même chemins neuronaux, Le cerveau se dit que c’est très employé donc c’est utile. Ces chemins de créations de monde, ça a été tellement emprunté que maintenant, c’est un feu d’artifice ! Quand je veux créer un monde, mon cerveau me dit :  « J’ai plein d’idées ! » (rires)

Tu as un agent. Quelles sont tes relations avec elle ? Que traite-t-elle?

Andoryss : Roxane est en charge de tous mes romans, par contre elle ne touche pas à la bande dessinée, car cette partie appartient à David. J’ai toute confiance en lui. Il a toujours tenu ce double rôle : c’est lui qui négociait mes contrats, mes avances, etc. Je ne me voyais pas le by-passer en lui mettant quelqu’un entre les pattes. La relation que j’ai avec David est très privilégiée et j’y tiens. En dehors de ça, Roxane, c’est un coach et c’est une personne à qui je vais pouvoir déléguer tout ce que je suis incapable de faire. Relancer les éditeurs, négocier mes contrats, négocier l’à-valoir… Un des plus beaux jours de ma vie, ça a été le jour où Roxane m’a dit : « Ne t’occupe pas de ça, c’est mon travail. Toi, contente-toi d’écrire. »

Tu fais partie du Collectif de Créatrices de Bandes Dessinées. Peut-on te définir comme militante ?

Andoryss : Je ne sais pas car je pense que j’occuperai la place de gens qui le font mieux que moi. Je suis une sympathisante militante féministe. Je vais lutter pour l’emploi du mot « autrice », je vais parler des luttes, mais on me verra très peu répondre aux haters sur Internet ou participer à des débats publics parce que tout en étant sympathisante, je hiérarchise énormément mon emploi du temps. Cette lutte, même si je suis très sympathisante, ce n’est pas une priorité.

Que penses-tu du fait qu’il n’y ait pas ou peu d’autrices au programme du bac ou lors des sélections de prix ? 

Andoryss : Nous souffrons toujours d’un défaut d’attention de la part des gens. Aussi bien les mecs que les nanas. Une femme sera moins écoutée, moins prise au sérieux, elle retiendra moins l’attention qu’un mec. Les médecins commencent à le dire, il y a un problème d’écoute de la douleur féminine. Du côté des femmes, c’est pire. Elles sont tellement résilientes, elles ont tellement l’habitude de souffrir en silence que quand elles commencent à se plaindre… En parallèle, l’homme, ça ferait deux ou trois mois qu’il serait à l’hôpital. On a une quantité hallucinante de femmes diagnostiquées avec des cancers en phase terminale juste parce qu’elles ont fermé leur gueules ! Une quantité plus importante que celle des mecs parce que les femmes taisent leurs douleurs. C’est une part d’inné et d’acquis. Dans la nature, les proies font le moins de bruit possible lorsqu’elles accouchent pour ne pas attirer les prédateurs. Ce silence, c’est quelque chose qui va se retrouver dans la nature, mais nous sommes une société civilisée, nous sommes censés avoir établi une forme d’équilibre entre les sexes. Il serait temps de le faire pour de vrai et de considérer les gens pour ce qu’ils sont. Pour en revenir au bac et aux prix, c’est un escalier avec plusieurs marches. À quantité égale d’hommes et de femmes qui écrivent, plus d’hommes soumettront leurs romans. À quantité égale de soumissions de romans, plus d’hommes seront publiés. À quantité égale d’hommes et de femmes publiés, plus d’hommes auront un tirage supérieur. À ce moment, on se rend compte que la proportion de femmes est très faible… À quantité égale de tirages, les hommes seront plus mis en avant. Ce n’est pas étonnant qu’ils se retrouvent sur les prix, ils sont plus lus. Ça fonctionne parce que toutes les marches de l’escalier mènent jusque-là. C’est d’une logique implacable.

Nous sommes en novembre et novembre, c’est ? 

Andoryss : NaNoWriMo ! (rires)

Peux-tu expliquer ce que c’est ? Depuis combien de temps le fais-tu ?  

Andoryss : Le NaNoWriMo , c’est le National Novel Writing Month. C’est un mois où nous écrivons en moyenne 1667 mots par jour. En moyenne, puisque le but c’est d’arriver au 30 novembre avec 50 000 mots. Je me souviens d’une année bénie où j’ai fait un NaNoWriMo en 7 jours. C’était super mais je ne le referai plus jamais. Ça sert à détecter spontanément les tics d’écritures. Quand on écrit 1000 mots par jour, on va se rendre compte qu’on emploie toujours les mêmes verbes, les mêmes intonations, les mêmes phrases, etc. En terme de rythme, c’est mortel. Quand on se rend compte au bout de trois jours qu’on a le même rythme, ça tue tout. En cours d’écriture, on soulève les tics, on les corrige, on en découvre d’autres et c’est très bien pour ça ! Le NaNoWriMo c’est aussi le principal allié des gens qui veulent écrire. Le principal écueil des gens qui veulent écrire, c’est qu’ils ne finissent jamais. Avec le Nanowrimo, on écrit et on finit. C’est la vidéo d’Ira Glass que je publie régulièrement sur mon blog. Elle dit de finir, d’aller jusqu’au bout ! On a le droit que ce ne soit pas parfait à la fin du premier jet, mais il faut faire un premier jet parce que vous saurez que vous en êtes capables. Quand on est capable de quelque chose, alors on peut déplacer des montagnes !



Qu’est-ce c’est pour toi ? Qu’est-ce que ça t’a appris ? 

Andoryss : Le NaNoWriMo c’est un exercice. Ça m’a appris que mon écriture était toujours perfectible. Ça m’a donné des clefs sur l’écriture. Le syndrome de la page blanche n’existe pas par exemple. Tu ne sais pas ce que tu dois écrire, ben tu te bottes le cul. Ce que tu écris, c’est de la merde ? Ce n’est pas important parce que comme tu te seras forcé à écrire de la merde, la scène suivante viendra spontanément et elle sera superbe. Tu n’aurais jamais réussi à écrire si tu l’avais juste pensé pendant des semaines. Ça m’a appris aussi qu’on a tous peur, parce qu’on est des milliers à écrire pendant le NaNoWriMo. On voit ces personnes qui ont peur, qui n’y arrivent pas, on les soutient parce qu’on est passé par là. Internet a permis ça, c’est une émulation monumentale.

Êtes-vous beaucoup à le pratiquer entre auteurs ? 

Andoryss : Oui, il y en a. Au fil des années, il y a de moins en moins d’autrices et auteurs professionnels qui le pratiquent, mais ce n’est pas parce qu’ils ont déconsidérés l’exercice. Il y a des deadline d’écriture. On ne peut plus passer un mois à écrire un projet dans le vent. Quand ça tombe bien, on peut écrire un projet de roman sur le NaNoWriMo, mais il ne faut pas se leurrer, à la fin du mois de novembre, le roman est à réécrire. Aucun roman écrit en un mois n’est bon spontanément.

Sur ton blog, tu commentes cette phrase de Ray Bradbury : « Your intuition knows what to write, so get out of the way  » (8), par le fait que le NaNo le permet. Est-ce que les autrices-auteurs sont trop timorés dans l’écriture ?

Andoryss : Ce n’est pas une question d’être timoré, c’est une question de maîtrise. En fait, il y a un travail à faire dans l’écriture, un travail de lâcher-prise. C’est la discussion des architectes et des jardiniers. Il y a un travail de jardinier à faire quand on est architecte et vice-versa. Il faut les deux dans ce monde, mais il y a un truc très fort qui est un manque dans la plume quand on ne l’a jamais expérimenté… Il y a des moments de grâce. Les personnages savent mieux que nous où ils veulent aller et ce qu’ils doivent faire. C’est ce que disait Olivier Paquet hier pendant la table ronde ( Le story telling, un nouveau code social? Festival des Utopiales) : « Je laisse les personnages être et ils m’apprennent des choses sur l’histoire que je veux raconter ». C’est exactement ça. À un moment, il faut accepter de ne pas savoir ce que tu es parti pour écrire, de voir les scènes au moment où elles arrivent et de les accepter. Il faut faire confiance aux personnages, ils s’en sortiront tout seuls, ils n’ont pas envie de mourir. Il faut lâcher-prise. Peut-être que notre cerveau, notre intuition, nos rêves savent mieux que nous comment écrire une bonne histoire.

Tu te définis comme jardinière. Comment ça se passe pour l’écriture ? Le point final l’est-il ou les personnages ont encore des choses à dire ?

Andoryss : Je suis une jardinière qui se soigne. Sur certains points, j’ai besoin d’être architecte. Quand on est jardinier, il ne faut pas croire qu’on va tout écrire au fil de la plume et que ça va être super. Il y a des gens qui y arrivent, mais pas moi. Quand on ne veut pas écrire de la merde, il faut accepter l’idée qu’il faut faire un premier jet et qu’il faut le réécrire. Je suis un animal de réécriture. Je ne réécris pas tout, mais assez régulièrement, je réécris des portions entières de mes romans, parce que la fin m’a appris ce que je voulais vraiment raconter. Je fais un premier jet, mais ce n’est pas une œuvre. Derrière, il va falloir que j’efface, je peaufine, j’affine et je finis par obtenir quelque chose qui peut être appelé un roman. 

Tu dis être jardinière mais dans ta vie tout est régit par emploi du temps. Ce ne serait pas de l’architecture ?

Andoryss : J’ai besoin d’avoir des points de repère dans mon univers pour ne pas avoir l’impression de ne rien faire. Malgré ça, j’ai souvent l’impression de ne pas en faire assez. Le fait d’avoir un emploi du temps ça me permet de me dire qu’à la fin de la période je ne me suis pas tournée les pouces. Si je ne le faisais pas, j’aurais fait la même chose, mais je me lamenterais parce que j’aurais l’impression de ne pas avancer. L’emploi du temps, c’est une méthode pour éviter l’écueil du désespoir qui me retarde. Quand on s’épuise et qu’on est désespéré, on écrit beaucoup moins que quand on est fatiguée, mais conscient de ce qu’on a fait jusque-là.

La musique est-elle présente dans la vie de tous les jours ou uniquement pendant les phases d’écritures ? 

Andoryss : Dans la vie de tous les jours, j’ai davantage de musique à parole. Mes BO d’écriture, ce sont des musiques sans parole. Ce sont généralement des bandes originales de films, de jeux vidéos. Quand j’écoute pour le plaisir, j’écoute des chansons. Il y a une unique exception : « Les loups ». Le projet a une bande originale composée de chansons. Mais « Les loups » c’est l’exception à tout…

On rappelle que tu es jardinière, que la musique d’écriture pourrait te transporter, mais tu la sélectionnes d’avance. Ce ne serait pas de l’architecture ?

Andoryss : Hmmm, je ne sais pas. Souvent, avant de choisir une bande originale, j’ai des idées préconçues. Je me mets sur YouTube avec la musique à laquelle j’ai pensée et je laisse le mode aléatoire défiler. C’est comme ça que je suis tombée sur Max Ritcher pour le roman  « #tempête ». De Max Ricther, je suis passée à celle de Shutter Island. J’ai donc trouvée ma bande originale sans la connaître à l’avance, par inadvertance.


On reste dans la musique, avec ton travail sur Peer Gynt et Casse-Noisette (9). Comment adapter un conte qui va être produit en musique et en bande dessinée projetée ? 

Andoryss : Peer Gynt était super compliqué. J’étais obligée de tenir compte de la musique car c’était une bande dessinée sans parole. Il fallait que les planches apparaissent à l’écran selon un certain timing correspondant à la musique qui allait être jouée. On m’a donné l’ordre et la temporalité des morceaux. Je suis allée chercher la musique, je les ai enchaîné pour les avoir dans le bon ordre et la bonne temporalité et j’ai écrit avec ça. Je mettais des timer pour que ce que j’écrive, c’est ce qu’on entende. C’était un travail de grande précision. Notamment, à un moment, Peer Gynt sort d’une caverne et Solveig fait sonner les cloches. Je voulais qu’au moment où les cloches résonnent, le lecteur arrive sur la case où on les voyait sonner. C’était du travail de chirurgie. Ça a été compliqué à cause de ça. Cette année, on adapte Casse-Noisette et c’est beaucoup plus simple, parce qu’il y a un conteur. Cette personne va parler entre deux morceaux de musique et après, les images vont raconter ses paroles pendant que la musique est jouée. C’est quelque chose de beaucoup plus facile à faire. Si l’image n’est pas au bon moment, ce n’est pas grave il y a eu le conte avant.   

Comment travailles-tu ?

Andoryss : Pour tout ce qui est scénario, je l’ai fait toute seule. Il a fallu que j’explique à l’orchestre de Paris que j’avais besoin des morceaux de musique et de leurs successions. Ils ont mis du temps à me les fournir, parce que c’est le chef d’orchestre qui les choisissait. On ne savait pas quel morceau allait être joué. À partir du moment où je l’ai su, j’ai travaillé toute seule sur le scénario et après, j’ai travaillé en partenariat avec Noémie Chevalier, l’illustratrice, puis avec l’orchestre de Paris pour ajuster le tout. Mais au départ, je suis toute seule sur le scénario.

Nous sommes en novembre, est-ce que la to-do list 2019 est remplie ?    

Andoryss : Pas du tout. De temps en temps, la vie arrive avec un marteau et fait voler ton emploi du temps en éclats. J’aurai dû finir deux romans d’ici la fin de l’année, ce n’est pas fait. J’ai encore l’espoir de finir l’un des deux ! Je ne finis jamais mes to-do list. Elles sont toujours trop chargées. Le but n’est jamais de les réaliser, mais de prioriser mon emploi du temps. Ça me sert également de point de repère à l’horizon vers lequel je tends. Si je fais dix kilomètres au lieu de vingt, ce n’est pas grave, je suis toujours dans la bonne direction.

On peut dire que tu es une geek. Comment travailles-tu maintenant que technologie doit rimer avec éthique et écologie ? Fais-tu des choix de logiciels, de matériel ?

Andoryss : Je le fais parfois. Mon moteur de recherche par défaut c’est Ecosia, mais de temps en temps, je ne trouve pas ce que je veux, alors je repasse sur Google, parce que Ecosia est « moins » efficace que Google. Mais « j’aime bien mes chaussons ». Je suis habituée à Word et je ne suis pas passée sur OpenOffice. J’essaie effectivement mais les logiciels libre de droits n’étant pas ceux sur lesquels j’ai appris, je m’en sers extrêmement peu parce qu’il y a une forme de satisfaction à retrouver un logiciel qu’on maîtrise. Ça fait des années que sur l’impulsion de Lionel Davoust, je devrais passer à Scrivener. J’ai fait le tutoriel, j’ai trouvé ça génial. Sauf que comme ça va me demander un travail d’adaptation, je refuse systématiquement d’y passer complètement.

Aux Utopiales, tu es modératrice, tu passes à une autre étape. Quel est ton sentiment ? 

Andoryss : Comme à chaque fois que je fais quelque chose… J’ai un gros syndrome de l’imposteur (rires). C’est quelque chose qui est difficile à combattre. À un moment, j’ai eu un manque de légitimité parce que je n’avais pas fait d’études littéraires et que j’étais autrice. Pendant très longtemps, je ne me suis pas sentie à ma place. Puis, il y a eu des petits détails qui m’ont remis dans le droit chemin… Par exemple, j’ai assisté à une masterclass de Lionel Davoust sur la création d’histoires. Quand il m’a vu rentrer, Lionel m’a demandé :
« Qu’est-ce que tu fais là, Mélanie ? Tu sais créer et raconter des histoires.
— Je n’en sais rien, je ne sais pas. »
Pendant la masterclass, il nous a fait faire quelques petits exercices et les réponses m’ont semblé évidentes. Je suis sortie en me disant que j’étais capable d’être pertinente sur certaines choses. Par ajout de petites pièces où je me disais que j’étais pertinente, j’ai pu étouffer mon syndrome de l’imposteur sur l’écriture de scénarios et de romans. Maintenant, on me demande de modérer des tables rondes. C’est nouveau, donc je suis à nouveau une impostrice… On en reparle dans trois ans !

La dernière question vient de Charlotte Bousquet, ton éditrice sur Le Passageur :  « Passageuse ou Pythie ? »

Andoryss : Définitivement Pythie. Le Passageur se soumet à un pouvoir qui lui est supérieur et dans lequel il doit aider les gens. La Pythie, c’est quelque chose qui lui tombe dessus. Elle est obligée de le faire, sinon elle devient folle et en même temps, c’est à la fois une malédiction et quelque chose qui est complètement incontrôlable. Le Passageur contrôle ses voyages dans le temps, et le fait de répondre aux âmes dévoreuses. Il y a une forme de maîtrise qui n’existe pas chez la Pythie. Je me sens plus Pythie. Je ne suis pas en contrôle de mes histoires, je suis un vecteur. J’ai vraiment l’impression d’être cette élue d’Apollon qui est traversée par la volonté du dieu et qui n’a pour vocation que de le restituer à la bonne personne. Moi, en tant qu’autrice, je me sens traversée par mes histoires et je suis en charge de les restituer. Je suis une Pythie.

Merci à Andoryss d’avoir accepté cette rencontre, malgré un emploi du temps surchargé.
Merci à Marielle pour les corrections.
Merci à Charlotte Bousquet et David Chauvel pour les questions.

(1) (2) (3) (7) sont des bandes dessinées éditées aux éditions Delcourt. 
(7) L’interview de David Chauvel vient du site Tout en BD.
(4) Les âmes silencieuses est un roman paru aux éditions du Seuil
(5) L’architective est un roman paru aux éditions Castelmore
(6) Le passageur est une série de romans parus aux éditions Lynks
(8) Votre intuition sait quoi écrire, alors écartez-vous de son chemin
(9) Casse-Noisette est un concert en famille par la Philharmonie de Paris. Le concert se déroulera le 30 novembre. Il n’y a plus de place.

Les citations de Ray Bradbury et Andoryss sont issus du blog de l’autrice

RENCONTRE AVEC XAVIER MAUMEJEAN

Xavier Mauméjean est un auteur. Il écrit des livres, mais aussi des fictions pour la radio. Il écrit de l’imaginaire comme du policier, mais toujours avec un sens de l’humour et des anecdotes. Rencontre avec un auteur hors-norme

(c)Coline Sentenac-Alma

Bonjour Xavier,

J’hésite à te qualifier d’artiste. Tes carrières sont nombreuses. Du cinéma expérimental, tu passes à la littérature de genre. On te retrouve traducteur ou essayiste sur la suite avortée de La Planète des singes. Pourquoi toutes ces carrières ?
 
Par curiosité, par passion, en un mot.

Pourquoi écris-tu sur des personnages hors-normes (Julien Offray de la Mettrie, Sherlock Holmes, John Merrick, etc.) ? Est-ce à voir avec ton côté Docteur Jekyll et Mr. Hyde ?

L’intérêt à la fois pour le vrai et l’imaginaire. Je prends mes personnages dans une situation qui les satisfait plus ou moins puis, au terme du récit, ils seront devenus ce qu’ils sont vraiment. Ils se réalisent.

Il y a une autre figure que je vois chez toi, c’est celle du détective. Pourquoi le genre policier a-t-il une importance pour toi ?

J’aime autant le policier que la science-fiction, la fantasy, le fantastique… Pour des tas de raisons, notamment philosophiques, parce que le récit policier classique repose sur des raisonnements, des démonstrations. Le genre classique, celui à énigme, est très contraignant et donc intéressant car il suppose quand même que tu bâtisses des problèmes… Des challenges. Sans tomber dans l’auto-satisfaction, je suis assez content de certains récits que j’ai faits parce que ce sont de vraies énigmes et notamment, ma trilogie policière élisabéthaine L’Echiquier du Roi (un feuilleton radiophonique, ndlr).

Dans cette figure du monstre et du détective, il y a un univers qui les rassemble : Batman. Pourquoi cette fascination pour cet univers ?

Ce sont des raisons qui sont partagées par beaucoup de gens : il n’a pas de pouvoirs, il y a une blessure au départ, il est tourmenté. J’aime beaucoup sa distinction dans l’univers DC : Superman protège les innocents et Batman punit les coupables. Ce ne sont pas les mêmes conceptions de la justice. Tu l’as dit, c’est un détective, Ra’s Al Ghul l’appelle d’ailleurs détective. La ville de Gotham est magnifique. Ça fait quelques années que je fais un guide touristique de Gotham city qui a plus de 2000 entrées. Chaque fois que dans une image, j’ai un repère : une boutique, une pizzeria, un journal… Je le note. J’ai les équipes de base-ball, de hockey, de basket-ball…

Comment as-tu découvert Batman ?

Je l’ai découvert enfant, dans les parutions françaises cheap. J’aimais bien aussi Superman. Dans les adaptations, Christopher Reeve est pour moi, Superman et Clark Kent, alors que – et ce n’est que mon avis – on n’a pas trouvé d’acteur qui soit aussi crédible en Batman et Bruce Wayne. Soit c’est l’un, soit c’est l’autre.

Tu dis être un auteur de l’imaginaire, oui, mais : tu poses toujours un pied dans le réel, tu mêles la grande et la petite histoire, tu la mélanges à l’imaginaire. Pourquoi ?

Le réel englobe tout, à la fois ce qui est vrai et faux. Une licorne n’est pas vraie mais est réelle puisqu’elle présente des critères réels de reconnaissance. Donc le réel est beaucoup plus vaste que le vrai et on accède à la part d’irréel via l’imaginaire.

Pourquoi tu cherches toujours une anecdote, une référence dans tes récits ?

J’aime bien plaire au lecteur, raconter des petites choses et ça entre sur des détails que personne ne connaît. Par exemple, quand j’ai découvert que les studios Disney, pour faire Bambi, avaient écorché un faon, je n’ai pas pu m’en priver. J’ai réussi à la mettre dans la postface de La Société des faux-visages. Quand le magazine Cosmopolitan, dans les années 20, dit à Freud de quitter l’Europe et de devenir chroniqueur pour leur journal afin de tenir une rubrique sur les problèmes de couple, c’est génial ! On lui offrait une très belle somme, un appartement à Manhattan… J’aime bien que le lecteur, pris dans l’histoire, ait une sorte de petit recul pour dire : « Ah, c’est rigolo, ça ! »

Quand on regarde ta bibliographie, on s’aperçoit que plusieurs de tes romans, ont été des pièces radiophoniques, des nouvelles, alors que tu dis : « Je ne réécris pas, je ne retravaille pas hormis des points de détail. » Pourquoi cette réécriture ?

Je viens d’une famille de maître-verrier qui remonte à plusieurs générations. J’ai une approche très picturale, plasticienne de l’écriture… Et j’ai des périodes. J’ai un thème que je vais décliner en pièce radiophonique et en roman, parce que ce sont deux approches différentes. Cela me permet de développer des variations différentes, même si bien sûr, il y a quantités de points communs… Ce n’est pas forcément la même fin, par exemple. J’ai des périodes que j’aborde techniquement, comme un peintre a une palette de couleurs : telle couleur pour ci, telle couleur pour autre toile… C’est vrai que je ne réécris pas. Je quitte une page quand, de mon point de vue, elle est nette. Je n’ai pas de premier jet. J’avance au fur et à mesure. Autre chose : je n’écris jamais dans la continuité. Je peux écrire le chapitre douze puis le six, puis le huit. C’est le cas encore actuellement avec mon prochain roman, El Gordo, qui revisite le personnage de Don Quichotte durant la Guerre d’Espagne. Là, j’écris en même temps sur un épisode qui se passe en 1929 et un qui se déroule en août 1936…

On a parlé de ton côté Jekyll/Hyde, mais il y a aussi ton côté Holmes/Moriarty. Outre que tu fasses partie du club des mendiants de Madrid, ta première publication, tu l’envoies par courrier et ensuite, tu déménages, sans laisser d’adresse. Qu’est-ce qui t’es passé par la tête ?

Oui, et en plus j’étais sur liste rouge… C’était par réalisme, je n’avais rien publié et je n’allais pas me la jouer à leur dire que le manuscrit 8302 a changé d’adresse. Mais les éditeurs m’ont retrouvé !

Tu dis être fasciné par la contrainte littéraire. Est-ce que tu la recherches ?

Oui, clairement, c’est le côté pataphysique. Dès qu’il y a une contrainte, c’est un jeu d’esprit, j’adore ça.

On a dit aussi que tu t’accroches au réel, que tu écris à la manière de… Le travail documentaire doit être phénoménal.

Oui, en effet. Dans les romans qui ont été les plus difficiles en contraintes, c’est Rosée de feu parce que les chapitres ne sont pas numérotés, mais ce sont les éléments chinois (terre, feu, etc.). C’était compliqué car un chapitre titré terre devait avoir une occurrence terre, mais je devais faire tourner les éléments, je ne pouvais pas faire terre-terre. Quant aux héros, il y a un petit garçon, son frère pilote et un commandant, ce sont les trois montreurs classiques du théâtre de marionnette japonais. Il fallait alterner. C’était une double contrainte.

On ne s’en aperçoit pas à la première lecture, mais il y a de l’humour dans tes textes.

Dans Kafka à Paris, c’est revendiqué.

Est-ce une manière de dédramatiser ou une manière de montrer que ce n’est pas si réel ?

Les deux. C’est une bouffée d’oxygène pour le lecteur et une façon de dire qu’on est au spectacle. C’est mon côté forain, mon côté clin d’œil au public au bord de scène.

Tu es un grand lecteur. Lorsque tu interviens, tu nous soumets toujours de nouveaux livres qui envahissent nos PAL (pile à lire). 

Oui, je suis désolé (rires). Ça rejoint ta première question. Je suis curieux et j’ai envie de faire découvrir les curiosités que je découvre. C’est vraiment par affection pour les lecteurs ou l’auditoire.

Quand on lit tes interviews, tu cites régulièrement des philosophes, des thèmes philosophiques. Tout n’est que philosophie ?

C’est une façon d’analyser les problèmes, d’ouvrir des horizons qu’il n’y a pas ailleurs. Comme c’est carré, on gagne du temps.

Tu as dit : « Les récompenses font plaisir, mais on peut parfaitement s’en passer. »

C’est bien pour une certaine reconnaissance… Mais non, vraiment… On ne va pas non plus y passer le nouvel an !

Quand est-ce que tu écris Le Roman de la famille en papier ?

Comment sais-tu ça ? Ah, tu es fortiche ! Ce serait une novella plutôt. Le sujet est certes passionnant, mais on ne peut pas en faire non plus un roman. J’y pense de temps en temps. Dans l’idéal, ça pourrait être un livre illustré…

Peux-tu nous en dire plus sur cette famille en papier ?

Ma fille avait une maison de poupée en carton, avec de jolis personnages, mais très sommaire. À force de jouer avec elle, je me suis dit : « C’est marrant, ils n’ont pas de pieds, ils ont des socles. Le père est toujours avec sa pipe ». Ce sont de super contraintes ! Dans la nouvelle, à chaque fois qu’ils parlent ça donnerait : « … dit le père en tirant sur sa pipe.  » Ou la mère de famille est réputée pour sa beauté, notamment son très joli socle… Cette famille qui vit dans une maison de papier, ils partiraient à l’aventure. Ça pourrait être une jolie histoire. Mais je ne sais pas comment la décliner.

On pourrait te croire accro aux livres, mais tu peux être aussi intarissable en musique, en jeux, en films… A quel moment tu t’arrêtes ?

J’ai la chance de ne dormir que quatre heures par nuit et d’être assez vite opérationnel. On en revient toujours à la même chose : l’appétit de la curiosité. Je peux aussi écrire n’importe où, à n’importe quel moment de la journée.

Merci à Xavier Mauméjean de s’être montré disponible et d’avoir répondu généreusement à mes questions.

Cette rencontre fait partie d’une série d’articles ayant pour thématique le personnage du général Zaroff. Vous pouvez retrouver la totalité des articles sur la page dédiée.

RENCONTRE AVEC ROMAIN D’HUISSIER

Auteur des Chroniques de l’Etrange, Romain d’Huissier nous emmène dans ses univers : jeu de rôle, l’Asie, l’écriture

Bonjour Romain, 
Quand tu te présentes, tu dis être auteur, novelliste et rôliste. Si les deux premiers sont connus, qu’est-ce qu’un rôliste ?

Le rôliste est le pratiquant du jeu de rôle. C’est un terme inventé par Pierre Rosenthal, un des grands anciens du milieu, participant du Casus Belli des premières heures. Le mot rôliste est d’ailleurs entré dans le dictionnaire. Le rôliste aime ce loisir et baigne dedans. Il peut écrire, voire produire ses propres jeux en plus de jouer.

À partir de quel âge peut-on pratiquer ?
C’est un jeu qui se joue à tout âge. Les enfants le pratiquent naturellement quand ils jouent à l’imitation : ils sont infirmières, cow-boys, marchandes, policiers, etc. C’est à partir de six, sept ans qu’ils sont capables de se dissocier, de se projeter dans un rôle en comprenant que c’est de la fiction. Il existe beaucoup de jeux d’initiations qui sont sortis, comme Chroniques oubliées mini ou Tales of Equestria, le jeu de rôle basé sur le dessin-animé My Littlle Pony. C’est joli, sympa et utile.

Ce n’est pas dangereux de pratiquer le jeu de rôle ?
Non, c’est même l’inverse ! C’est un loisir qui structure un imaginaire, qui aide à prendre la parole. Quand on voit le nombre d’écrivains qui sont passés par là, difficile de soutenir une quelconque supposée dangerosité du jeu de rôle. Évidemment, ici aux Imaginales on s’en rend compte : quasiment tous les auteurs ont tâté du jeu de rôle, mais on peut aussi parler de quelqu’un comme Maxime Chattam. C’est un grand auteur de thriller, rôliste convaincu, qui n’hésite jamais à s’en revendiquer ou à en faire la promotion.

Tout ce que tu cites, ça vient des genres (science-fiction, fantasy, fantastique). Existe-t-il des jeux de rôles hors de ces genres ?
Le but du jeu de rôle, c’est de vivre des aventures et de raconter des belles histoires. Souvent, on rejoint la sphère mythique du conte, qui est l’ancêtre du genre fantasy. Les premières grandes sagas : Gilgamesh, Homère, etc. : c’est du pur genre, de la pure fantasy historique ! Ensuite, il y a des jeux de rôles qui essayent d’explorer d’autres sentiers qui sont parfois plus confidentiels mais tout aussi intéressants. Ils vont essayer d’émuler des situations de la vie réelle, toucher un pendant psychologique… Il y a également les serious game qui peuvent être utilisés en entreprise – pour des mises en situation, pour du team-building, pour essayer d’éduquer les gens à certaines situations qu’ils ne connaissent pas forcément, mais qu’ils pourraient être amener à vivre. En formation, c’est utilisé : untel va être le DRH, untel va être le salarié qui va attaquer au prud’homme, etc. Le jeu de rôle, c’est un outil qui peut servir à s’évader dans des univers merveilleux, mais qui peut aussi être utilisé en psychologie et dans le milieu professionnel.

Est-ce qu’il y a une différence entre Donjons & Dragons et World of Warcraft ?
L’un des deux est un jeu vidéo. World of Warcraft est le descendant de Donjons & Dragons, comme tous les jeux de rôles sur consoles ou ordinateurs. Ils réutilisent les concepts de points de vie, l’immersion dans des univers de fantasy, la progression… Les principes sont les mêmes : tu as des armes de plus en plus fortes, tu fais de plus en plus de dégâts, tu explores un grand univers… Après, ces jeux vidéo sont plus limités que le jeu de rôle puisqu’ils dépendent de ce que les programmeurs ont pu mettre dans le logiciel. Les univers peuvent être immenses, ils peuvent faire participer pleins de joueurs… mais dans le vrai jeu de rôle sur table, la seule limite : c’est l’imagination. Normalement, il n’y a pas de bornes car une table de cinq joueurs, cinq cerveaux, cinq imaginations mises côte à côte… ce sont tous les univers virtuels qui s’ouvrent !

Tu es marié et papa. Comment ta moitié et ta progéniture vivent le jeu de rôle ?
Ma femme est très joueuse de jeux de plateau, qui est un loisir un peu cousin. On fait des parties entre amis le samedi soir, à Arcadia Quest par exemple, qui est assez proche du jeu de rôle. Mais le pur jeu de rôle, ce n’est pas son truc, ce qui n’est pas grave en soi. Elle le vit comme si j’étais fan de football et que j’allais à un match avec des potes. Il n’y a aucune différence. Quant à ma fille, elle commence à s’y intéresser. Il y a aussi de plus en plus de dessins animés pour jeunes qui intègrent des personnages qui font du jeu de rôle dans l’histoire. Dans My Little Pony, plusieurs personnages y jouent dans la saison 6. Il y a l’écran, les dés, etc. Dans la nouvelle version de She-Ra, ils doivent préparer un plan de bataille pour attaquer la forteresse ennemie. Ils font ça sur un plateau de jeu avec leurs figurines, il y a un écran de jeu, etc. C’est toute cette imagerie qui est reprise dans ces dessins-animés et qui finit par interpeller les enfants.

Tu parles de jeux de plateau. Quelle vont être les différences avec le jeu de rôle ? Est-ce qu’il y a des jeux hybrides ?
Le jeu de plateau est beaucoup plus borné. Il y a des règles, on est dans une proposition spécifique mais il existe des jeux hybrides. Beaucoup de jeux de plateau réempruntent les fondamentaux du jeu de rôle, notamment Donjons & Dragons. Il y a énormément de jeux de plateau qui proposent de l’exploration de donjons : on a son équipe de personnages, on se déplace sur les cases du plateau, on rencontre des monstres, on les affronte, etc. Souvent ils reprennent la partie purement mécanique du jeu et pas la partie interprétative. Pour Olivier Caïra, qui est un érudit du jeu de rôle et qui l’étudie de façon universitaire, il y a le concept d’incomplétude : par définition, un jeu de rôle ne peut pas être complet. On ne peut pas décrire entièrement son univers, chaque village de tel monde, chaque habitant… Les règles ne peuvent pas couvrir tout ce que les joueurs vont imaginer. Le but, c’est de poser les bases, les codes, un système qui permet de se l’approprier pour faire face aux situations inattendues. Comme le jeu de rôle n’est borné que par l’imagination, il faut qu’on donne quelque chose qui reste ouvert. Alors que le jeu de plateau, on reste sur le plateau. On ne le quitte jamais. On n’interprète pas des personnages. On peut le faire pour le fun, mais rien dans le jeu ne nous demande de le faire.

Les rôlistes ne sont donc pas des individus qui jouent dans leurs caves ?
Non. Ce sont les vieilles images pourries des années 1980-90. Actuellement, il y a d’ailleurs quelque chose qui se passe. Le jeu de rôle a fait son retour en grande surface – avec des maisons d’édition comme Larousse, Solar ou 404. Elles proposent des boîtes d’initiation, dans les rayons jouets / jeux de sociétés.  Castorama a fait une publicité qui en parle… pour vendre des tables, mais c’est assez extraordinaire ! De plus en plus d’œuvres, comme celles que je citais plus haut, montrent que le jeu de rôle est parfaitement accepté comme loisir pour les personnages. Dans True Detective, on voit un manuel de jeux de rôles (imaginaire, mais il est présent). La série Stranger Things parle aussi de jeu de rôle…

Quand et comment tu as commencé ?
J’ai tâtonne au collège. Je m’y suis mis plus sérieusement au lycée, en Terminale, avec une campagne sur INS (In Nomine Satanis, ndlr). Puis c’est à la fac, quand on a un peu de temps et qu’on rencontre des gens venus d’horizons divers, qu’on peut s’y mettre sérieusement.

Tu as franchi plusieurs étapes : joueur, maître de jeu, chroniqueur, scénariste, auteur… À quand l’édition ?
Alors ça, non. Ce n’est pas mon métier. Ça demande des compétences que je n’ai pas, qui ne m’intéressent pas – même si j’ai beaucoup d’admiration pour ceux qui en sont capables car il y a toute la partie administration-comptabilité-juridique. Moi, j’y suis perdu, je me noierais dans ce genre de choses… Je préfère écrire des jeux, les proposer à des éditeurs qui amèneront leur expertise, leur regard, leurs contacts… Et ce sera mieux fait !

Tout joueur peut-il devenir auteur ?
Oui. Ce n’est pas un talent génétique ou une mutation qui permet de l’être. Il suffit de se lancer. Pour être maître du jeu, on fait pareil ! On décide un jour qu’on a envie d’être celui qui va animer la partie, qui va proposer ses idées, qui a envie que ses histoires soient racontées et dont les joueurs s’emparent. Quant à devenir auteur, tous les rôlistes le sont un peu. Ils sont déjà auteur de leur propre personnage, leur propre aventure. Ensuite, c’est de l’expérience, de la rigueur, du travail… Il faut être capable de se structurer, de s’imposer des deadlines… Si on veut se prétendre professionnel, être édité avec des vrais contrats, il faut faire ses preuves. C’est du travail et de l’expérience.

En tant qu’auteur, tu as adapté du manga, de la fantasy asiatique, du super-héros… Les rôlistes sont reconnus pour être curieux, mais toi tu restes souvent dans les mêmes univers.
(Rires) Oui c’est vrai. Plus que les univers, c’est traiter d’un genre qui m’intéresse. Si on me dit qu’on joue dans la Chine ancienne, pour rester dans un truc que je connais, je vais m’interroger sur les codes. Est-ce qu’on va jouer Tigre et Dragon ou est-ce qu’on va jouer les enquêtes du Juge Ti ? Est-ce qu’on va jouer de l’aventure avec cape et épées / kung-fu ou va-t-on enquêter sur des mystères, négocier avec des fonctionnaires ? D’un côté, on aura un polar de la Chine ancienne, de l’autre de l’aventure. C’est ça qui m’intéresse. J’ai des univers de prédilection, mais j’essaie de les aborder avec différents codes. 

Pourquoi passer du jeu de rôle aux romans ?
C’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. Pour une certaine raison, j’avais d’énormes complexes. Je pensais que c’était un univers d’un niveau au-dessus de ce que j’étais capable de produire puis arrive ce moment où l’on se dit qu’on est vraiment trop con. Il y a d’autres auteurs de jeux de rôle qui deviennent romanciers, qui y arrivent… Même si ce qu’on fait est trop nul et ne sera jamais accepté, on se lance. Je commence à écrire des nouvelles, à répondre à des appels à textes… Petit à petit, on monte en gamme, on ose enfin proposer un gros manuscrit à un éditeur plus important et finalement, on est accepté. On se dit qu’on en est capable, c’est certes toujours du travail, de la remise en question, mais j’en suis capable ! J’encourage toutes les personnes qui liront cette interview à ne pas être aussi con que moi et à ne pas avoir ce genre de barrières qu’on s’impose soi-même… On apprend à écrire en écrivant. 

L’histoire de la trilogie des Chroniques de l’Etrange était-elle présente à la base ?J’avais l’idée de raconter cette histoire. J’ai fait en sorte que le premier tome soit auto-contenu, en semant quelques graines dedans, si l’éditeur était d’accord pour faire la suite. Dans le deuxième tome, j’ai fait germer ces graines pour montrer que la saga était vraiment une trilogie en tant que telle. Ce n’était pas un one-shot plus deux suites. C’est une vraie trilogie dramatique et narrative. J’avais une idée vague, j’avais le chemin, je n’avais pas tous les détails, mais je savais où j’allais dès le début. Le chemin emprunté était peut-être différent de ce que j’escomptais au final…

Comment peut-on définir ta trilogie ? Dans Les Chroniques de l’Etrange, on évolue dans un Hong Kong qui est un mélange de films de la Shaw Brothers et du Hong Kong actuel. Est-ce que c’était voulu ? 
Ah, oui ! C’est complètement ce que je voulais faire ! C’est de l’urban fantasy qui se passe à Hong-Kong. L’urban fantasy, c’est un genre très anglo-saxon où la ville, qui sert de lieu d’action, est en même temps plus que le décor.  C’est aussi une sorte de protagoniste qui va forger le destin des personnages. Eux-mêmes, par leur histoire et leurs actions, vont dresser un portrait de la ville… Puisqu’ils sont façonnés par elle, ils la racontent en miroir. C’est un genre qui m’intéressait beaucoup. Les anglo-saxons en sont souvent maîtres parce qu’ils ont une culture urbaine qui est plus développée que la nôtre. En Angleterre, il y a Rivers of London, traduit en français par le Dernier Apprenti Sorcier où Londres est rempli de divinités et le héros enquête au milieu de tout ça… À Chicago, il y a notamment Les Dossier Dresden… Quelque part, Anne Rice est précurseuse puisque dans Les Chroniques des Vampires, la Nouvelle-Orléans est une ville très importante. J’ai voulu utiliser ces codes, mais les placer à Hong-Kong pour trouver une certaine originalité et réutiliser toute la mythologie asiatique, qui coulait de source. Je voulais forger une urban fantasy qui nous dépayse, qui soit exotique et qui nous amène vers des contrées qu’on connaît moins. Donc, toutes mes influences sont pensées et revendiquées.

Quand je lis ta trilogie, elle concentre divers genres cinématographiques de Hong Kong : Les triades, le kung-fu, le wuxia pian… Faut-il s’y connaître pour pouvoir entrer ?
Non, puisque mon rôle est d’être le passeur de cette culture pour le lecteur. Je prends le temps, à travers le héros, d’expliquer les notions qui lui sont familières. En s’identifiant à lui, le lecteur les appréhende et parvient à s’y familiariser. Hong Kong étant intéressante à ce titre, puisqu’elle a été sous domination anglaise pendant une centaine d’années avant d’être rendue à la Chine. Elle est très imprégnée de culture occidentale et ça facilite la transition pour le lecteur. On pourrait être dans une ville semblable à New York avec des immenses gratte-ciel, etc. Mais au lieu de trouver la cathédrale Saint-Patrick ou des églises, on va avoir les temples des dieux chinois, les petits autels dédiées à la déesse de la mer. La transition se fait assez naturellement. J’espère en tout cas être arrivé à passer cette culture de façon indolore pour le lecteur.

Depuis le début de cette interview, on sent que tu es passionné par la culture asiatique. Pourquoi celle-ci ?
Je ne pourrai pas dire à quand remonte ma passion de l’Asie. Ça a commencé par le cinéma, évidemment… Sans doute Bruce Lee quand j’étais gamin. J’ai toujours adoré ça. Des films comme La Rage du Tigre, La Main de Fer qui étaient à l’époque en VHS chez René Chateau Vidéo… Avec des doublages dignes de Michel Leeb ! C’était abominable, mais ça fascinait l’enfant que j’étais. J’ai continué à adorer cette culture. Ce qui ne m’empêche pas d’être également passionné de mythologie grecque, mais à un moment il faut se dire : quel est mon créneau ? J’ai cité tout à l’heure des auteurs d’urban fantasy qui ont déjà investi beaucoup de possibilités dans le genre. Est-ce que j’allais venir avec mon histoire de vampires, de loups-garous alors que pleins de gens plus doués que moi l’ont déjà fait ou est-ce que j’allais chercher ma voie, mon ton ailleurs, dans mes passions de jeunesse ? Je voulais intéresser les gens à ces passions sans être écrasé par l’ombre des grands auteurs qui m’ont précédé sur tout ce qui est culture occidentale et folklore. J’ai cherché mon créneau… en Asie !

Tu as goûté des nems, des pâtés impérieux, du riz collant… Tu as aimé. Depuis, à travers tes romans, tu fais de nombreuses descriptions de repas. As-tu envie de nous donner faim ?
Il y a de ça, mais en fait  quand j’écrivais, je me renseignais sur Hong Kong. L’un des éléments-clés de la ville, c’est qu’il s’agit de l’endroit du monde où on trouve le plus de restaurants par habitant. En fait, le Hongkongais mange beaucoup à l’extérieur puisque c’est une ville où l’immobilier est extrêmement cher et les appartements plutôt petits. J’imagine que les cuisines sont relativement exiguës, on ne peut pas y préparer d’immenses plats. Ils mangent beaucoup à l’extérieur et ils ont vraiment des restaurants incroyables… Certains sont fait d’un stand sur un trottoir, avec deux tabourets, on se fait servir sa soupe de nouilles, alors que d’autres sont luxueux et accueillent le gratin de la région. Je voulais le faire sentir car ça fait partie de l’ambiance de la ville. Ces rues encombrées avec des petits étals… On se prend une brochette de poisson en se rendant au boulot, etc. C’est vrai aussi que la nourriture asiatique a des saveurs, des odeurs qui sont marquantes d’une certaine ambiance. On essaye de décrire à travers les sens du lecteur : Il n’y a pas que la vue ou l’ouïe, on essaye de titiller son goût, son odorat… Dans les mondes de fantasy, on ne sait jamais trop ce que mangent les gens. Ils vont commander une viande qui cuit dans la cheminée de l’auberge, mais c’est rarement expliqué : on ne nous dit pas quelles épices sont utilisées, les herbes, l’assaisonnement… Ça me semblait très intéressant d’explorer ce terrain-là.

Tu es reconnu comme professionnel dans le milieu rôliste, mais en-dehors de cette sphère ?
Je ne sais pas si je suis si reconnu que ça, mais le professionnalisme c’est quelque chose qui me tient à cœur. Si un éditeur me fait confiance, prend des risques, mise de l’argent sur moi, je dois lui donner le meilleur de moi-même. Je dois respecter les délais qu’il me demande, je dois avoir une qualité de texte qui corresponde au standard que lui et moi nous sommes fixés. C’est certain que ce n’est pas un travail que je prends par-dessus la jambe. Si les éditeurs en sont contents, j’en suis le premier heureux. Vis-à-vis du public, je ne sais pas si les gens s’intéressent tant aux auteurs dans le jeu de rôle. C’est beaucoup moins ancré dans la culture rôliste que dans les romans. De plus en plus d’auteurs sont issus du jeu de rôle. Les éditeurs savent que nous avons une expérience, que nous sommes à l’aise avec l’écriture. Ils peuvent miser sur nous, mais le public littérature de fantasy est plus large que le public de jeu de rôle. Il faut convaincre un autre lectorat.

Le fait que tu sois connu dans le milieu rôliste a-t-il permis d’être reconnu en tant qu’auteur de romans ?
Je n’ai pas fait d’étude de marché donc je ne sais pas du tout… Des gens que je connais par les réseaux sociaux et qui me connaissent en tant que rôliste ont acheté mes livres parce que mon nom leur était familier. Je ne sais pas si c’est un mouvement général. Je pense que concernant des grands auteurs issus du jeu de rôle comme Jean-Philippe Jaworski, leur public dépasse de loin la sphère rôliste, sinon ils n’atteindraient pas de tels chiffres et une telle réputation. Je ne sais pas si les publics sont si perméables. Ce sont des genres qui sont vraiment voisins et qui gagneraient à mieux communiquer en synergie. J’espère avoir une petite communauté qui me suit quel que soit le loisir, en tout cas.

Tu te dis professionnel, tu fais attention à la confiance que tu entretiens avec l’éditeur. Comment s’est passé la phase de corrections des Chroniques de l’Etrange ?Elles étaient énormes ! Notamment sur le premier tome de la trilogie, Les 81 Frères. Je ne savais pas forcément raconter une histoire aussi bien qu’on l’attend d’un romancier. Après avoir lu le manuscrit, l’éditeur m’a demandé de travailler certains éléments : développer un personnage, rajouter un chapitre, etc. J’ai plus ré-écrit le livre que je ne l’ai écrit. Ça m’a pris beaucoup plus de temps et d’effort. Ensuite, il y a le travail avec la directrice d’ouvrage, qui a fait un très bon boulot. Elle va s’attaquer plus aux détails, elle va repérer les incohérences : « cet événement qui arrive vers la fin, annonce-le tout doucement au fil des chapitres, en glissant des allusions de façon à ce que lecteur n’ait pas l’impression que ça tombe du ciel », etc. Ce sont des petites choses qu’on ne sait pas forcément faire en jeu de rôle, puisqu’on décrit des univers plus que des histoires. J’ai pu l’apprendre à cette occasion. Les relectures / corrections sont très importantes et nécessitent de s’y plonger. C’est une partie douloureuse, notamment pour l’égo, mais on doit s’y prêter.

L’écriture est-elle une finalité ou une autre façon de faire vivre tes univers ?
Il y a un peu de tout. Il y a l’envie de passer quelque chose au lecteur, de l’attirer dans mes passions, en espérant que ça l’intéresse. C’est une finalité qui n’en finit jamais. On a toujours envie d’en écrire un autre, puis un autre… Quand on a bouclé un roman, voire une trilogie, on se dit que ça fait du bien, c’est fini. On a fait ce qu’on voulait, ça aurait pu être mieux, parce qu’on n’est jamais satisfait de son travail, mais… C’est fait ! Il y a un côté finalité en soit. Ensuite on espère que ça peut vivre de façon transmedia. Des droits achetés pour une série télé, un jeu vidéo… Parce qu’on a envie de voir son univers se développer, forcément.

Est-ce que Les Chroniques de l’Etrange seront adaptées en jeu de rôle ?
Tout à fait. C’est signé avec l’éditeur Antre Monde pour une sortie prévue à l’automne 2020.

Quel est le plus facile ? Adaptation littéraire ou adaptation rôliste ?
Là, je ne vais pas dire que ça va être facile mais j’ai tout. C’est mon univers, je l’ai développé à travers trois romans, donc le jeu de rôle devrait couler de source. Ce qui va m’intéresser, c’est de m’entourer d’une belle équipe et de voir ce qu’eux peuvent mettre dedans. Savoir comment ils vont s’emparer de l’univers avant même que les joueurs ne le fassent. Je vais diriger l’équipe, j’écrirai le jeu de rôle avec eux mais je vais être très curieux et ouvert à leurs idées. Il y a peut-être des choses auxquelles j’aurai aimé penser dans les romans qui vont m’être amenées et qui rendront l’univers encore plus passionnant !

Qu’en est-il de l’après Chroniques de l’Etrange ? J’ai entendu parler de Donjons & Dragons mais aussi de Grèce mythique…
J’ai un peu écrit pour Héros & Dragons, la version Black Book de Donjons & Dragons 5ème édition. Je ne suis pas un gros auteur sur Héros & Dragons, ça n’est pas un des éléments de mon actualité les plus prégnants même si je suis content d’avoir participé. Par contre, la Grèce mythique, oui ! Mon prochain roman, je pense que ça va vraiment être ça. Une autre de mes passions, la mythologie grecque… Je pense plonger les personnages dans ce qu’on appelle les Siècles sombres. C’est la période qui sépare la fin présumée de la Guerre de Troie de l’ère classique des cités-états. C’est une époque où énormément de bouleversements ont eu lieu dans le bassin méditerranéen. C’est assez peu documenté et je pense qu’il y a des choses à trouver et à raconter.

 Est-ce que tu as commencé à économiser pour aller à Hong Kong ou en Chine ?
Eh bien, chers lecteurs : achetez, achetez et quand j’aurai assez de droits d’auteur, je pourrais m’acheter le billet !

Merci à Romain d’Huissier d’avoir pris le temps de répondre à mes questions

Chronique de Seppuku

RENCONTRE AVEC MARIELLE CAROSIO

Comment devient-on éditrice ? Comment fabrique-t-on un livre ? Réponses avec Marielle, étudiante en Master métier du livre, autour d’un thé et d’un gâteau.

Bonjour Marielle,
Tu fais partie du Master, lettres, langue, mention métier du livre et de l’édition.

C’est presque ça. Je fais bien partie du Master métier du livre et de l’édition, mais qui fait partie de la section Arts, lettres et communication à la faculté, dans le pôle littérature à l’université de Rennes 2.

Comment en es tu arrivée là ? Était-ce la suite de ton parcours ou une arrivée hasardeuse ?
Depuis que je suis enfant, la lecture, c’est mon truc et le livre, mon compagnon. Je me suis souvent posée la question de ce que je voulais faire plus tard. J’aimais la lecture mais je ne pouvais pas en faire un métier, sauf que je ne savais pas que l’édition, ça existait. Pour moi, arriver en édition c’est surtout resserrer mon parcours autour du livre. Avant d’en arriver là, j’ai essayé la traduction, les bibliothèques et la documentation scolaire, ce ne furent que des mauvaises portes. Puis j’ai rencontré celui qui m’a donné envie de m’intéresser à ce que c’était l’édition. Je ne connaissais pas du tout et je suis tombée dans le chaudron.

Pourquoi choisir Rennes ?
Par commodité. J’habite à Rennes. La deuxième année existait déjà avant et pour ma promotion, la faculté a ouvert le Master 1. Je me suis dit que j’allais candidater. Je sortais de Licence de lettres, le timing était bon, les étoiles étaient alignées. J’ai dit : « Je fonce ». J’ai été acceptée. Miracle !

Quelle est la finalité de ce Master ?
Le Master 1 a été pensé pour pour favoriser tout ce qui est métier de l’interprofession : bibliothèques, librairies mais aussi l’édition. C’est un master généralisant qui va nous donner beaucoup de portes, d’astuces et des connaissances sur la chaîne du livre globale. C’est très intéressant ! Ça peut expliquer aussi pourquoi et comment en édition on peut penser le livre pour la commercialisation, comment les libraires travaillent, qu’est-ce qu’un bibliothécaire peut faire, qu’elles sont les forces de chaque métier et quels leviers ça peut nous donner en édition. La deuxième année est plus destinée à ceux qui veulent être éditeurs ou ceux qui envisagent ce milieu-là. Ce sont des cours avec des professionnels de divers horizons, de divers types de littérature ou de non-fiction, ou de documentation. Il y a une partie plus théorique où on explique comment créer une maison d’édition, comment on fait un devis avec un imprimeur, comment on choisit un papier, etc. J’ai tel livre, comment je lui donne l’allure qu’il a ? Le format, la police, comment on maquette une couverture, comment on réfléchit à son objet ? Comment se dire qu’un texte est pour moi ? Qu’est-ce que j’en fais ? Dans quelle collection je l’intègre ? À qui je le vends, puisque l’édition c’est ça. Il faut bien le vendre (rires).

Ça c’est l’idée du master. Qu’elle en est la réalité ?
Moi je m’intéresse à un type de littérature qui est un petit peu différente, qui se situe dans une niche : les littératures de l’imaginaire. J’avais une vision du métier axée sur cette niche. Finalement, ce sont souvent des structures assez petites, donc je n’avais pas forcément en tête le fonctionnement dans des grandes structures comme Gallimard, comme Nathan, comme bien d’autres. Ce qui est intéressant avec ce master, c’est qu’il ouvre sur énormément de choses, sur d’autres types de littératures, sur le fonctionnement des livres d’artistes, en format numérotés avec des ouvrages bien particuliers, mais aussi le roman. Peut-être que j’avais une idée du master où j’attendais des choses, et que je n’ai pas trouvées ou alors, en abordant ces sujets-là, que ce soit en cours, en stage, j’ai aussi évolué. C’est ça qui est toujours intéressant, c’est que notre orientation, elle peut s’approfondir, évoluer. Par exemple, j’étais intéressée par l’édition numérique et je me rends compte que je ne me sens pas à l’aise, je ne dispose pas de connaissances suffisantes pour y aller sereinement et savoir faire un boulot professionnel… Pour le moment.

Faut-il avoir un bagage littéraire quand on arrive dans le master ?
C’est plus facile ! Quand on a certaines connaissances, c’est plus facile de répondre aux attentes de ce qu’on nous demande, mais aussi pour nous ! On dispose de clés qui peuvent nous faire avancer plus vite dans notre réflexion de ce qu’on veut devenir plus tard. Quel éditeur je veux être ? Est-ce que je me destine à être une petite main, et c’est très bien. Surtout ne crachons pas sur les petites mains, elles sont essentielles dans les grandes maisons d’éditions ! Ou est-ce que je vais faire ma propre structure et je vais incarner ma maison d’édition ? Les deux sont bien, mais ça dépend du réseau qu’on a. C’est super important. C’est ce que j’ai compris avec mon parcours personnel et c’est avec ce réseau-là qu’on trouve des projets ou que les projets vont à nous. Parce que tous les chemins mènent au rhum (rires) !

As-tu des conseils à donner aux futurs étudiants ?
En deuxième année de Master, on nous demande de réaliser trois projets éditoriaux. Il y en a deux qui vont être fait en individuel et le dernier sera fait en collectif. Moi, je parlerai plutôt d’un individuel. Je vous conseille, chers étudiants, futurs étudiants, futurs éditeurs, pitié, si vous faites le projet d’éditer un roman, ne choisissez pas un manuscrit de 800 000 signes. Franchement, en direction d’ouvrage, je vous souhaite bon courage ! Vous allez devoir corriger, le mettre en pages… Ça fait beaucoup. Je vous conseille, si vous me lisez, d’aller jusqu’à 450 000 signes et c’est déjà un beau bébé. C’est surtout ce conseil qui compte (rires) ! Le temps derrière n’est pas le même entre un manuscrit de 450 000 et de plus de 800 000 signes.

Sur la lettre d’inscription, il fallait développer un projet. Quel était le tien au départ ?
Xavier Dollo, avec son frère Mikaël, tenaient une maison d’édition : Ad Astra. Celle-ci a fermé il y a peu de temps, mais Xavier souhaitait faire une ré-édition de deux titres de Théo Varlet, suivi d’un de ses recueils de poésie. On aurait souhaité ré-éditer La Grande Panne suivi d’Aurore Lescure, pilote d’astronef. Il aurait été suivi du recueil de poésie éponyme Ad Astra. Selon Xavier, c’est de la poésie cosmique… Je vous laisse deviner (rires). À la base, c’était ce projet, mais en fait, on a fait autre chose. Notamment parce que j’avais un premier projet qui sortait de l’ordinaire. Un projet un peu fou et en terme de réalisation pour le bilan prévisionnel, c’était extrêmement compliqué, voire complètement irréalisable. Le projet était pour autant super intéressant. J’ai dû changer dans le courant de l’année, au mois de mars. Il me fallait un projet bien avancé, voire terminé et j’ai eu la chance de m’occuper d’une collection de novella.

Tu parles des projets de deuxième année. En quoi consistent-t-ils ?
Ça va dépendre de l’actualité des partenaires avec le master. En collectif, nous avons dû réaliser un projet de revue sur Rennes. Ensuite, il fallait développer un sujet. Nous avons choisi la littérature, notamment de l’imaginaire, parce que nous étions un groupe d’étudiants passionnés par ça. Comme nous aimons bien notre ventre, nous avons choisi d’y associer la bonne chère : la gastronomie. Donc, nous avons lié ces deux sujets-là en un seul dans une revue. Elle ne paraîtra pas, ça restera un document de travail qui sera évalué.

Et les deux autres projets ?
Les deux autres projets individuels, ça suit les cours. Le premier court sur tout le premier semestre et nous le soutenons en mars. Le sujet était : »Faites le projet de vos rêves ». J’ai eu l’occasion et la chance de travailler avec Philippe Ward, pour un objet qui sort en septembre 2019, aux éditions Rivière Blanche. C’est un roman : Le Maître du Nil. Là, il a fallu créer le livre. J’en ai fait la direction, la correction. Philippe et moi avons travaillé de concert. J’ai briefé Xavier Collette, notre illustrateur que j’ai démarché. « On a telles idées, que peut-on faire avec ? Je te propose ceci ou cela, peux-tu me guider ? »
Pour des premières expériences, Xavier a été essentiel :
« Oui, on peut faire comme-ci, si tu me donnes telle information, ça m’aidera. Donne-moi le format du livre… » « Ça va être tel format », « ma couverture, je vais te la faire pour que ça aille pile-poil. Si tu mets des personnages, décris-les moi un minimum pour que je puisse imaginer quelque chose qui ressemble. Je vais te fournir un premier croquis, où j’ai placé les éléments et tu me diras si ça te convient. Si c’est bon, on poursuit avec une première colorisation. »
On a changé quelques petites choses, des détails, mais qui nous semblaient absolument importants, ou qui n’allaient pas au premier jet, en tout cas. C’est à ça que servent les différentes étapes, notamment avec la couverture. Ensuite il a fallu qu’on soit dans les temps pour avoir l’objet pour la soutenance. Il a fallu voir avec l’imprimeur de Rivière Blanche : Lightning source. Quel ouvrage voulait-on avoir ? Comment on le fait pour qu’il s’intègre à la collection, quel papier. Toujours le papier, c’est essentiel au livre, sinon vous ne lisez rien, désolé (rires) ! C’était beaucoup de travail parce que c’était un roman absolument passionnant sur l’Égypte ancienne, notamment, mais très costaud, très dense.

Comment as-tu travaillé avec Philippe Ward ? Tu habites dans l’ouest et lui dans le sud.
Ah ! Internet est notre grand ami. On a travaillé essentiellement par courriel, et quand j’avais trop de questions, il fallait s’appeler. On mettait tout à plat et ça repartait. Ça a été des allées et venues constantes entre Philippe et moi.

Et le deuxième projet ?
Le dernier projet est ce qu’on appelle un projet d’année. On se lance dès qu’on entre dans la deuxième année du master. On développe un objet qu’il va falloir soutenir fin septembre. Soit il faut créer sa maison d’édition, fictive ou réelle, soit créer une collection et donc, planifier le premier objet qui sortira en physique (ou en numérique) et deux projets prototypes dont il faut le sommaire et une couverture maquettée avec un petit résumé pour montrer qu’on sait préparer une collection, qu’on sait se projeter. Ce projet d’année est accompagné du mémoire (entre 30 000 et 50 000 signes- environ une dizaine de pages). C’est un mémoire technique. Il aborde la commercialisation, les choix de fabrication, explique le calendrier, parce qu’un livre ne se réalise pas en 5 minutes. On doit proposer un planning. Ce sont ces informations-là qui accompagnent le projet et qui vont expliquer notre démarche.

Et ton projet ?
Il s’agit d’une novella qui s’appelle Une île (et quart) sous la lune rouge. Elle a été écrite par Thomas Geha, qui, dans la vraie vie s’appelle Xavier Dollo. Elle est éditée par une structure qui s’appelle Timelapse. Cette structure ne publiera que ce titre. Désolé, je brise peut-être votre petit cœur. Mais en tant qu’éditrice, sur Timelapse, je ne publierai que ce titre-là. Parce que, d’une part eh bien c’est mon projet d’étude et d’autre part, Timelapse, c’est une boucle temporelle et qu’on aime bien jouer avec le temps. L’activité d’édition, c’est à penser sur le long terme et pour le moment, et pour les besoins du master, je n’ai pensé qu’à ce livre… À lui donner une belle forme, un beau format, un beau papier et qu’il soit le plus beau possible… Et je trouve qu’il est pas mal, sans vouloir me vanter (rires).

Pourquoi avoir choisi ce texte ?
J’ai pris la novella de Thomas Geha parce que j’avais un autre projet avant et pour les choix expliqués précédemment, j’ai dû changer. Dans la vraie vie, Thomas Geha est devenu mon compagnon de tous les jours, celui qui me supporte, moi, mes mauvaises idées, ma mauvaise humeur et mon humour grinçant. Il avait ce texte là dans son tiroir depuis quelques années et quand j’ai eu besoin de trouver un nouveau projet, je me suis tournée vers la personne la plus proche de moi. C’était lui et il a répondu présent. On a travaillé de façon efficace pour faire quelque chose de chouette. C’est comme ça que ce projet a abouti.

Pourquoi ces choix éditoriaux (format, couverture, etc.) ?
Comme vous avez pu le comprendre, je suis plutôt dans l’édition traditionnelle. C’est-à-dire du papier. Quant au format, les gens qui possèdent l’objet pourront le comparer à une maison d’édition qui m’a énormément inspirée : Le Bélial’ avec sa collection, Une Heure-Lumière. Merci les gars, vous faites un travail génial et vous m’avez donné cette idée de m’intéresser à la novella. Je me suis dit, pourquoi pas ? Allons-y ! J’ai inventé une collection de novellas. Ce sont de courts textes. Le format est compris entre la nouvelle et le roman. Ça se situe entre 80 000 et 250 000 signes et le format des éditions du Bélial’ est parfait. Cette novella fait 84 pages. Le livre est petit, il n’est pas encombrant, il se lit très vite. Pour les voyageurs, c’est parfait. Pour les personnes qui ne lisent pas beaucoup, c’est parfait également. Je voulais quelque chose de pas très encombrant, donc, le côté souple c’est ce qui me semblait aller le mieux. En terme de coût, c’était parfait pour moi car les coûts d’impression, d’expédition, et de rémunération des illustrateur-trice-s sont à la charge de l’étudiant. Il est édité à 100 exemplaires en vente. Ils sont numérotés et signés par l’auteur et l’illustratrice… Et si vous avez de la chance, vous avez même une dédicace ! Je voulais le plus bel objet possible. J’ai choisi une police qui me plaisait énormément, qui est une Baskerville. C’est une police neutre, extrêmement lisible, très sobre et qui reste élégante. Ça me paraissait l’idéal. J’ai choisi tout simplement une façon de faire qui ressemble presque, parfois, à certaines collections, comme Zulma. Elle a une couverture avec un triangle ultra-reconnaissable partout ! J’ai choisi une façon de présenter le livre très simple. Sachant qu’il n’y a rien sur la quatrième de couverture parce que je voulais que le lecteur puisse admirer cette magnifique couverture et ça m’embêtait de mettre un gros cadre blanc en plein milieu, pour dire : « Voilà, ceci est le résumé ! » C’est une novella, il faut en dire le moins possible, je ne veux pas vous spoiler !

Si tu voulais faire simple, pourquoi ne pas faire une couverture neutre ?
J’aurai pu ! Mais j’aime bien les dessins et j’aime beaucoup ce que fait Anna Boulanger. Je connais son travail, je la suis et elle a ce souci du détail qui est absolument… Renversant ! Dans la novella, c’est ce même souci constant des détails, de la faune et de la flore. Les deux auteurs allaient bien ensemble. Ça changeait, je n’avais pas affaire à une couverture en couleurs. Ça me demandait de la maquetter différemment…
Ça aurait pu être Xavier Collette, mais je voulais diversifier la couverture. Quand on travaille plusieurs fois avec un artiste, on est un peu comme dans ses chaussons et on ne sort pas de sa zone de confort. Quand on fait de la recherche, ce qui est bien, c’est qu’on veut changer un minimum le projet. Là, je ne voulais pas reproduire à l’identique, ou peu s’en faut, la façon de travailler avec Xavier, même si j’ai super bien bossé avec, c’était formidable ! Là, j’ai choisi de bosser avec quelqu’un qui travaille en traditionnel, c’est-à-dire, sur un papier avec un crayon. Ça prend un temps infini. Je ne sais pas le temps exact, mais ça a pris quelques heures. Anna me l’a dessinée, puis elle me l’a scannée et moi, je l’ai maquettée. Changer d’illustrateur, c’est aussi réussir à travailler avec tout ce petit monde là et à multiplier les connaissances, le réseau, les expériences professionnelles, pour voir ce qui est faisable, ce qui ne l’est pas.

Et pourquoi vendre cet objet ?
Ce livre-là doit être donné au jury, pour qu’il l’évalue. Il leur faut trois exemplaires. On a commencé à en discuter autour de nous et des gens se sont dit intéressés. On a alors décidé de simuler ce que fait une maison d’édition, c’est-à-dire un tirage. On ne l’a pas tiré à 500 exemplaires, ça serait complètement impossible, on fait un tirage plutôt conséquent pour un master. C’est-à-dire 100 exemplaires qui sont en vente et dix ont été tirés en même temps mais ont reçu une numérotation différente : pour le jury, pour la BnF et pour nous en document de travail et personnel.

Comment sait-on que le projet est validé ?
Ah ! La bonne question ! Vous le saurez un petit peu après moi (rires) parce qu’avant je dois passer ma soutenance ! C’est un travail de recherche qui va être évalué en même temps que le mémoire technique, qui parle de la création de cette collection, fictive. Je vais devoir soutenir tout ça, en plus de mon stage et du rapport de stage. Suite à cette soutenance, je vais être évaluée par mon jury. Suite à ça, vous saurez, si le projet est validé ou non. En tout cas, hormis une évaluation dans un cursus universitaire, il est bien accueilli et je peux dire actuellement qu’il me reste une dizaine d’exemplaires à vendre sur les 100. Ça augure d’un bon retour. On me dit que c’est un bon travail, que ça ressemble étrangement au travail des éditions Le Bélial’, même si j’ai changé certains paramètres. Je ne voulais pas faire du copier-coller, ce serait dommage. Je voulais que ce soit personnalisé. Dans la sphère de la littérature de l’imaginaire, il est plutôt bien reçu par ceux qui ont décidé de soutenir ce projet et je les en remercie.

Tu as dit que c’était une collection fictive. Il y a plusieurs titres ?
Tout à fait. Une île (et quart) sous la lune rouge est vendu, mais les autres ne paraîtront pas. C’est pour ça que je l’appelle fictive. C’est dans le cadre universitaire. On nous demande de prévoir une collection pour montrer qu’on sait planifier des ouvrages, avec ce fameux calendrier. J’ai imaginé publier une novella par trimestre, parce que c’est beaucoup de travail et qu’il faut du temps à Anna pour faire les autres couvertures. Elle a déjà réalisé la couverture d’un deuxième texte. Je ne peux pas dévoiler le nom des personnes qui m’ont soumis des idées pour les collections, car l’un d’entre eux sera soumis à un éditeur. Je lui souhaite beaucoup de réussite. Je travaille avec l’autrice pour l’aider à avancer. C’est gagnant-gagnant. Elle me propose un projet, je travaille dessus. Je le soutiens, je montre que je sais planifier un autre titre et moi je lui donne mon point de vue d’éditrice. J’ai maquettée sa couverture il y a quelques jours. Celle-ci est encore une fois magnifique. Je l’ai envoyée à l’autrice et j’attends ses réactions. Je ne peux pas vous la montrer, il faudra demander à Anna (rires). Pour le troisième titre, j’ai une couverture à recevoir qu’il faudra que je maquette. C’est une jeune autrice qui m’a soumis un synopsis, complètement différent. Il y a toujours un jeu avec le temps. Timelapse, c’est la boucle temporelle : les paradoxes, les univers parallèles, les petites bizarreries du temps…

Quels sont les projets proposés et quels sont les genres (bande dessinée, non-fiction, numérique, etc.) ?
Ce qui est très étonnant avec ce master mais très intéressant ceci étant, c’est qu’il y a autant de sujets et de projets qu’il n’y a d’étudiants (une vingtaine pour chaque année, ndlr). Je vous laisse imaginer comment ça peut foisonner d’idées. Chaque projet est le résultat de connaissances d’étudiant-e-s et de leurs univers. Nous avons eu des projets de bande dessinée, d’albums jeunesses, sous plusieurs formes. Nous avons eu un beau livre qui mélange des collages et de la calligraphie. Une étudiante nous a rendu une pièce de théâtre et chapeau-bas à elle, car la mise en page est fantastique ! C’est extrêmement varié ! Les projets d’années sont aussi divers. Visiblement, on a de la poésie illustrée, de la bande dessinée, des contes de fées en version adulte… Il y aura des sujets comme le harcèlement de rue, une thèse sera peut-être publiée et remaniée pour être accessible au grand public.

Pendant le master, est-ce qu’il y a des abandons et à l’inverse, est-ce que certains sont embauchés ?
Effectivement, nous avons eu quelques abandons, pour diverses raisons, professionnelles, personnelles. D’après les échos que j’ai (je ne suis pas au fait de tout), certains étudiants peuvent se faire recruter dès la fin de leur stage. Ça dépend des années. Pour ce qui est de notre promotion, je ne sais pas encore.

Tu as choisi les littératures de l’imaginaire…
Je crois qu’elles m’ont choisi.

C’est-à-dire ?
Depuis toute petite, j’en lis, essentiellement parce que ma famille en lit et que nous sommes des bons lecteurs. Mon père me parle depuis que je suis toute petite du Voyageur imprudent de René Barjavel. Je suis abreuvée des littératures de l’imaginaire avec Les Oubliés de Vulcain de Danielle Martinigol, j’ai eu la chance de travailler sur ce livre en 5e. J’ai suivi Erik L’Homme avec Le Livre des Étoiles et puis Pierre Bottero avec La Quête d’Ewilan. J’ai continué mon chemin, j’ai lu d’autres auteurs comme Richard Matheson, qui a fait Je suis une légende mais qui a écrit le remarquable livre Le Jeune Homme, La Mort et Le Temps, qui est incroyable ! J’ai lu d’autres choses et j’ai évolué. J’ai lu du Jasper Fforde. C’est un truc complètement foutraque, mais absolument fantastique. L’affaire Jane Eyre, c’est un univers qui est absolument génial ! J’ai croisé aussi Hervé Jubert pour Le Quadrille des Assassins… Au lycée, j’ai beaucoup écumé la collection Folio SF ! Je vous livre un grand secret : je ne lis pas que de la littérature de l’imaginaire ! Non, non, non (rires) ! Je m’intéresse à beaucoup d’essais, sur divers sujets : Léonard de Vinci, l’effondrement de Rome ou des textes sur le féminisme. Je peux même lire de la blanche, je ne vais pas cracher dessus pour autant. Je m’enrichis de tout ça.

Comment cela est-il perçu la littérature de l’imaginaire au sein du master ?
C’est assez particulier. Ce n’est pas un club fermé, mais on s’y retrouve entre nous. On en est ou on en est pas. Je ne peux pas trop dire ça autrement. Je ne peux dire si nous sommes des doux-dingues, des rêveurs, des geeks, dirons-nous, mais c’est vrai qu’on est peut-être à part, un peu différents… En marge, je ne sais pas. Peut être que c’est difficile de rentrer si on a pas mis un pied dedans. Après on est dans un master, on peut toujours proposer des titres pour commencer à aborder le genre. Là, je pense à de la littérature adulte : Porcelaine d’Estelle Faye. C’est un titre magnifique, la langue est géniale. Moi, je me suis régalée et je continue de m’enrichir grâce à des auteurs comme ça. On n’est pas obligé de lire de l’imaginaire pour comprendre. On peut prendre ça pour un conte. Après je ne sais pas pourquoi c’est plus difficilement abordable par les autres personnes. Je n’ai pas vraiment abordée cette question, peut-être parce qu’elle me dérange ou peut-être que je ne me suis pas encore posée la question. Pourquoi c’est perçu différemment ? Je ne sais pas. Nous sommes peut-être des gens un peu bizarre (rires).

Et du côté du professorat ?
Ce qui peut être dommage, c’est qu’ils ne connaissent pas beaucoup ce monde qui peut être absolument passionnant… En regard de tout ce qui passe en séries télévisées, et que tout le monde connait… Games of Thrones pour ne citer que lui, qui est passé dans le quotidien de beaucoup de personnes. Et pourtant, c’est de l’imaginaire !

Merci à Marielle Carosio pour son temps, ses corrections, son thé et son gâteau.

RENCONTRE AVEC JOHN SCALZI

Une rencontre avec un auteur millionnaire, futur goûteur de kouign amann, qui réfléchit sur notre monde , sans oublier une part d’humour.

Vous avez écrit sur Internet avant d’être publié. Est-ce que ça a changé votre façon de construire le récit ?

Ça a eu peu d’influence sur mon écriture. Par contre, ce qui m’a influencé, c’est que j’étais auparavant critique de film. Pendant plusieurs années j’ai regarder 200 à 300 films par an. Tout ce qui est construction du récit, dialogues, etc., je l’ai appris en étudiant les films. En tant que critique, je devais comprendre comment ça fonctionnait. Si vous lisez Le Vieil Homme et la Guerre, vous verrez que c’est écrit en trois actes, exactement comme aurait pu l’être un film.

Vous avez écrit sur Internet, avant d’écrire des versions audio, puis d’être publié. Peut-on vous considérer comme un méta-auteur ?

Puisque vous avez posé la question, vous savez que j’en suis un. Ce qui est intéressant avec Internet, c’est que beaucoup de personnes ont adopté des approches différentes pour essayer de se faire publier. Certaines essayent d’imiter celles que j’ai choisies durant les années 90 jusqu’au début des années 2000. Avec le recul, d’autres écrivains et moi-même avons l’impression d’avoir ouvert la voie. Ce que nous avons fait, d’autres peuvent dorénavant s’appuyer dessus pour le faire de manière professionnelle. Donc, toutes ces personnes me doivent de l’argent. (rires)

On peut donc vous considérer comme un proto-meta-auteur ?

Tout à fait ! Je vais écrire ça sur ma carte de visite ! (rires)

Je vous vois comme un paradoxe. Sur internet, vous êtes un écrivain avec une ligne de conduite, vous êtes droit, alors que de l’autre, vous vous vendez très bien. Est-ce compatible l’un avec l’autre ou est-ce ma vision européenne de l’auteur ?

Les deux sont vrais. Je suis un écrivain américain et, pour avoir du succès, il faut vendre ce qu’on fait, il faut faire de soi-même un produit rentable. Alors oui je suis écrivain, mais j’ai aussi un talent pour le marketing. J’apprécie de me montrer en public. Mon éditeur aime ça parce que je suis un bon client en tournée. Ça veut dire aussi que je peux me permettre toutes ces activités, je peux les assurer sans avoir besoin d’un autre emploi.

J’ai l’impression que vous expérimentez beaucoup lors de vos publications. Est-ce un challenge que vous vous faites à moins que vous ne soyez une brute de travail ?

Dans chaque roman, je me lance un nouveau défi pour faire quelque chose de différent. C’est important d’élargir ma boîte à outils d’écrivain, d’avoir de nouvelle capacités. Il faut dire aussi que je m’ennuie très vite.

Vous avez reçu le prix Hugo pour Your Hate Mail Will Be Graded. Est-ce que votre rétrospective du mois dernier cherchait à remporter le même prix ?

Non ! Cette rétrospective consistait en la republication d’une série d’articles à l’occasion des 20 ans de mon blog « Whatever ». J’ai fait ça pour savoir comment je réagirais face à l’évolution des thèmes abordés avec 20 ans de plus. La meilleure façon de me rendre compte de mon point de vue actuel sur une question, c’est d’écrire dessus. Tant que je n’ai pas écrit dessus, je ne m’en rends pas compte. Ça m’a permis d’analyser tout ce que j’ai pu écrire pendant 20 ans. 20 ans d’écriture sur un blog… ça fait beaucoup !

Que vous établissiez les règles d’un jeu meurtrier (l’hilketa) ou que vous répondiez aux questions d’enrôlement dans Le Vieil Homme et La Guerre, les réponses sont claires et étudiées de près. Pourquoi ne pas faire plus simple ?

C’est que je disais tout à l’heure. Pour réfléchir, j’ai besoin d’écrire. Ensuite, quand une personne se pose une question sur mon univers, j’ai envie d’y répondre, non seulement pour le lecteur, mais aussi pour moi. Ça m’aide à écrire mes histoires. Pour ce qui est des personnages transgenres dans Le Vieil Homme et La Guerre, je n’y ai pas vraiment réfléchi en écrivant ce roman. En revanche, c’était intéressant d’introduire ce thème dans les livres suivants en faisant en sorte que ça s’insère bien dans l’univers. Maintenant, je réfléchis à cette question et je continue de la développer.

Au fil des années, votre humour s’est assagi, affiné, est-ce un gain de maturité ?

Mon humour n’a pas évolué, mais j’ai d’avantage confiance en mon lectorat. Avec le temps, ma sensibilité à évolué mais il y a aussi mes lecteurs. Ils sont habitués à mon humour, donc je n’ai pas besoin d’insister dessus. Le lecteur peut sentir l’humour dans le contexte.

Vous avez signé un contrat de 2 millions de dollars pour 13 livres en 10 ans. Est-ce que les droits d’auteurs y sont liés ?

Non, j’ai gardé tous les droits annexes (audio, cinéma). Le contrat porte uniquement sur les textes imprimés. Je dis toujours à mes confrères écrivains de garder leurs droits, de ne jamais les céder. C’est toujours à l’écrivain de garder la main dessus. Je ne céderais mes droits pour rien au monde.

Vous avez écrit « Dans cet univers, séduire un homme hétérosexuel est la plus facile des difficultés », Vous avez une politique anti-harcèlement dans les événements où vous êtes présent, vous avez donné de l’argent lorsqu’un « troll » était sur votre blog. Peut-on vous considérer comme militant ? (1)

Je ne me vois pas comme un militant, je ne le mérite pas. En tant qu’homme blanc hétéro, je n’ai pas cette légitimité. Par contre, j’ai la liberté et le droit de m’exprimer sur les questions politiques, de société, etc. Quand je le fais dans le milieu de la science-fiction ou ailleurs, que quelqu’un comme moi exprime ces idées, ça a du poids. Si je ne le faisais pas, j’aurais honte. Tant que j’aurai un micro, je m’en servirai pour m’exprimer sur des sujets comme l’art, ma communauté, ce qui ne fonctionne pas, etc. Ça ne m’empêche pas de dire parfois des bêtises et il est alors normal qu’on me le reproche. Ce n’est pas de commettre une erreur qui est grave, mais de la reproduire.

En France, on considère l’Artiste avec un grand A. Quelle votre vision de l’auteur ? Quelle est celle des Etats-Unis ?

Hum. Ça dépend du genre d’écrivain que vous êtes. Les auteurs de fiction littéraire ont droit à leur majuscule, mais pas les auteurs de littérature de genre. Moi, ça me convient. On peut mettre une minuscule à artiste ou à écrivain, je me fiche pas mal de ce que pensent les autres. De plus, c’est le genre qui a fait ma fortune ! J’ai signé un contrat de plusieurs millions. Aux Etats-Unis, l’argent ne se cache pas…. Je ne suis pas un Artiste avec un grand A mais ce contrat a permis de payer ma maison, de mettre à l’abri du besoin.

Le succès est au rendez-vous quand on parle de science-fiction dans les films, les séries et les jeux vidéos. Est-ce qu’on rencontre le même engouement en littérature aux Etats-Unis ? Ce n’est hélas pas le cas en France.

Le problème est le même dans mon pays. Se montrer avec un livre de science-fiction, c’est toujours stigmatisé aux Etats-Unis. Une partie de la solution consiste à imprimer des couvertures qui ressemblent moins à des livres de science-fiction. Heureusement l’essor de la culture geek est tel que je peux me permettre d’avoir des couvertures très référencées science-fiction et d’être dans la liste des best-sellers. Vive les geeks !

Avez-vous enfin trouvé un smartphone qui vous convienne ?

(Le montrant) Mon précieux ! J’ai un pixel 3 maintenant et je l’apprécie énormément. Quand j’ai débuté ma tournée, mon ancien téléphone s’est arrêté. J’étais embêté car toute ma vie était dedans. Ce modèle me permet de faire de très belles photos et j’en prends autant qu’avec mon appareil photo. J’aime aussi sa couleur, c’est un ton chair qui me va bien au teint. (rires)

Vous avez un goût particulier avec la nourriture : Coca-Cola zéro, burrito, tarte schadenfreude, etc. Mais avez-vous essayé le kouign-amann ?

J’en ai entendu parler et j’ai très envie d’essayer. Vous le savez, j’adore le sucre, les sucreries, ainsi que le beurre. C’est une pâtisserie qui a été faite pour moi !

Vous participez à des débats pendant les Utopiales, allez-vous utiliser le naqmoac ?

Aux Etats-Unis, pendant la séance de questions du public, on a toujours une personne qui se lève et qui dit (prenant la voix des muppets) « C’est plus un commentaire qu’une question ». Ça dure cinq minutes et ça n’apporte rien. Donc, quand je suis le modérateur, je fais une annonce du genre : « Les intervenants vont parler pendant 40 minutes, ensuite vous pourrez poser des questions. Vos questions devront se présenter sous la forme d’une question, elles ne devront pas être en plusieurs parties et elles ne devront pas être plus longues qu’un tweet ». Si je procède ainsi, c’est pour qu’il y ait le plus de questions possible. Si on pose ces règles dès le début de la conférence on peut dire à celui qui ne les respecte pas : « Non, passons à la question suivante ». Ce procédé, je l’ai surnommé « Naqmoac » (« Not a question, more of a commentary »). Comme je ne serai pas modérateur pendant les Utopiales, je n’y aurai pas recours.

Merci à John Scalzi pour avoir répondu à des questions inhabituelles avec gentillesse et humour, ainsi qu’à Mikael Cabon pour son aide précieuse.

(1) Voir l’article d’Actualitté à ce sujet

Vous pouvez suivre John Scalzi sur son blog

RENCONTRE AVEC ANDRE-FRANCOIS RUAUD

André-François Ruaud 2018Où l’on parle ovins, bibliothèques, littératures, pays imaginaire et vocabulaire québécois

Nous allons aborder la quatorzième année des Moutons électriques. Si tu devais faire un résumé, est-ce une balade, un parcours ou un chemin de croix ?

André-François Ruaud : Hm… Chemin de croix quand même. C’est très dur d’être éditeur. C’est épuisant, ce sont des inquiétudes tout le temps. Évidemment, c’est aussi plein de satisfaction, sinon, je ne suis pas complètement maso, j’aurais fait autre chose, mais avouons-le, faut être un peu marteau. On me l’avait dit avant que je devienne éditeur et je le constate. Mais c’est un boulot que j’aime toujours, à la passion, parce que quand la passion n’y sera plus, je ne pourrai plus le faire. Je trouve énormément de choses qui m’intéressent et j’ai toujours cette passion. Ce n’est pas simple, mais je ne me plains pas. Je fais un métier que j’adore.

Les Moutons électriques, c’est un nom original pour une maison d’édition qui veut éditer principalement des auteurs français.

André-François Ruaud : (Rires) Comme tu le sais, ça provient du roman Les Androides rêvent-ils des moutons électriques, le Blade Runner de Philip K. Dick, mais c’est parce que j’ai co-créé Les Moutons électriques… La maison a été créée en 2003 avec plein de monde, mais mon principal associé c’était Patrice Duvic, un éditeur lyonnais et parisien et c’était un ami personnel de Philip K. Dick. Dans son placard, Patrice avait une chemise hawaïenne qu’avait portée Philip K. Dick (rires). Ce nom, c’était un moyen de rendre hommage à Philip K. Dick et à Patrice Duvic.

Le mouton est un ovin généralement considéré comme stupide. Du point de vue culinaire, on aime celui des prés salés ou celui de Ouessant… Ce dernier est aussi apprécié comme tondeuse écologique. Qu’en est-il de vos moutons ?

André-François Ruaud : Les Moutons électriques, c’est un nom qui nous a séduit tout de suite… Qui nous a défrisé (rires). Ce n’était pas pour le côté ovin, bien entendu, mais en vérité, pour le rythme de ce nom. Ça m’a fait penser au Serpent à plumes ou aux Humanoïdes associés, c’est-à-dire un nom d’éditeur en plusieurs morceaux. Le Serpent à plumes comme les Humanoïdes associés, ce sont de très belles aventures éditoriales. Quand une copine nous a proposé ce nom là, ça nous a séduits immédiatement.

Tu édites de la littérature populaire. Le terme semble aujourd’hui galvaudé. Peux-tu en donner une définition ?

André-François Ruaud : Je publie à la fois de la littérature populaire et de la littérature de genre. Je ne sais pas si c’est galvaudé. Les séries télé de nos jours sont éminemment populaires, c’est dans ce sens-là que j’entends « populaire », une littérature qui plaît à un grand nombre. Ça ne veut pas dire pour autant que c’est une littérature médiocre, mais c’est une littérature de genre… Je considère qu’il y a trois faces de littératures. Il y a la littérature « blanche » officielle, il y a la littérature noire, c’est-à-dire le polar, et il y a les littératures de l’imaginaire. Pour moi, les gens vraiment cultivés, les gens qui m’épatent totalement, ce sont les gens qui maîtrisent les trois genres. Par exemple, David Vincent, le directeur de L’Eveilleur et de L’Arbre vengeur, m’épate absolument car il maîtrise à la perfection la littérature générale et les littératures de l’imaginaire. Pour moi, c’est ça être vraiment cultivé.

Dans une autre vie, tu as été libraire de bande dessinée. Pourquoi ne pas devenir éditeur du 9eme art ?

André-François Ruaud : J’aurais pu, c’est sûr, mais, c’est un autre métier. Ce n’est pas éditeur, c’est éditeur de bandes dessinées. J’en avais pas envie. J’adore la bande dessinée, mais j’aime encore plus tout ce qui est littérature.

Tu lis et pratiques la psychogéographie. Qu’est ce que c’est ?

André-François Ruaud : La psychogéographie, c’est l’art de se promener en ville, l’art de se perdre en ville et l’art d’en parler. Parler de ses promenades, des sensations que donne la ville, de l’influence de la vie urbaine sur la vie humaine et de l’interaction de la nature avec la ville.

Toi qui es bordelais. A-t-on des balades psychogéographiques sur Bordeaux ?

André-Francois Ruaud : Je n’en ai pas rédigé, mais ça pourrait se faire,.. Comme dans toutes les grandes villes, Mais pour faire de la psychogéographie, il faut que la ville soit assez vaste et Bordeaux a cet avantage de ne pas être spécialement très peuplée, mais d’être très vaste, très étendue. Donc, pour répondre à ta question, on peut le faire.

Tu apprécies Bordeaux, comme tu as apprécié Lyon, mais pourquoi cet amour particulier de Londres ?

André-François Ruaud : Londres, c’est une forme d’exotisme. Oh, je me rends compte que ce n’est pas très original, d’aimer cette ville. On est des centaines et des milliers à aimer ou à avoir aimé Londres, Pour moi Londres et même l’archipel britannique en général, c’est un peu comme un pays imaginaire, très sophistiqué. Je le trouve fascinant. J’aime lire des romans qui se passent dans ce pays imaginaire, mais c’est un pays imaginaire qui a un avantage supplémentaire… On peut y aller ! C’est formidable quand même !

Tu as fait partie d’une gang lyonnaise… Qu’est-ce que la Gang ?

André-François Ruaud : Quand j’étais à Lyon, j’avais envie d’avoir autour de moi des amateurs de genres et de bandes dessinées. J’ai cherché à créer une bande d’amis, de discussion voire d’écriture… Ce groupe est né dans une voiture en rentrant d’un salon de science-fiction à Nancy. Nous étions assez intéressés sur le vocabulaire québécois et on a décidé de s’appeler la Gang. En québécois, il y a des mots qui n’appartiennent pas au même genre qu’en français. C’est un clope et une gang… Voilà. C’était ambitieux, parce que c ‘était un déjeuner hebdomadaire. On y est arrivé. Tous les jeudis on se réunissait, pendant quelques années, c’était très chouette !

Le Club de l’hydre en est-il le pendant bordelais ?

André-François Ruaud : Tu as tout compris. Lyon est une ville de passage. La plupart des membres de la Gang sont partis, donc la Gang s’est dissoute… littéralement. Et moi aussi, je suis parti. Quand j’ai décidé d’arriver à Bordeaux, je connaissais quelques personnes et je leur ai proposé de faire un dîner mensuel. En hommage à mon camarade Francis Saint-Martin, on a appelé ça Le Club de L’hydre.

Tu as une théorie : « Au début des années 80, notre planète est passée dans une singularité qui en a arraché tout goût et bon sens créatif. » Est-ce le cas pour la littérature ?

André-François Ruaud : (rires) Oui, c’est aussi le cas pour la littérature. Essayes de relire Poppy Z. Brite, par exemple. C’est clinquant au possible… Les années 80, c’est les années du clinquant, donc j’aime cette théorie un peu idiote du passage de la planète dans une singularité qui aurait arraché brièvement tout sens du bon goût…

Pourtant, les années 80, ce sont aussi les années où tu as commencé à travailler, à écrire. Est-ce que ça veut dire que tu avais mauvais goût ?

André-François Ruaud : Oui, j’aimais bien entendu certaines choses que je n’aime plus du tout. (rires)

Sur les différentes interviews de toi, il y a souvent la même photo. Est-ce une coquetterie de ta part ou tu ne changes pas au fil des années ?

André-François Ruaud : Premièrement, je n’ai pas beaucoup changé (rires). Deuxièmement, oui, c’est une coquetterie, en ce sens, que j’avais envie d’avoir une photo officielle…. mais j’en ai changé depuis peu parce que j’ai la barbe. Il n’y a pas longtemps, une jeune femme photographe a mitraillé une conférence où j’intervenais. Je lui ai demandé l’autorisation d’utiliser une des photos, qui me plaisait bien.

Tu apprécies la musique sophistiquée. Peux-tu nous en dire plus ?

André-François Ruaud : J’apprécie le progressive-rock et le jazz-rock. Voilà ce que j’aime particulièrement. Ce sont des musiques sophistiquées au niveau de l’instrumentalisation et de l’arrangement. Mais qui t’a dit que c’est ce que j’appréciais ?

Temps de Livres : Tu l’as écrit sur ton blog.

Tu as une maison soigneusement décorée, des bibliothèques choisies (aucune ne vient d’Ikea), une cuisine raffinée… Peut-on dire qu’André-François Ruaud est un esthète ?

André-François Ruaud : C’est prétentieux, donc je te laisse le dire. (rires)

Ton blog à pour titre Neverland. On ajoute à cela des achats compulsifs de Mickey-Parade, des titres de La Bibliothèque verte, etc. Es-tu atteint du syndrome de Peter Pan ?

André-François Ruaud : Oui, c’est évident ! Je n’aime pas l’idée de vieillir, je suis très jeuniste et je me rends parfaitement compte que le fait d’acheter des anciens Bibliothèque rose et verte, c’est un rêve d’enfant. Une fois, étant môme, j’étais dans un Monoprix et ils avaient tout un présentoir de vertes et roses. J’ai eu une vraie gourmandise… J’ai eu envie de tous les avoir. Pourtant, mes parents étaient généreux. je me rends compte avec le recul qu’ils me donnaient beaucoup d’argent de poche pour acheter des bouquins. J’avais beaucoup de livres, mais je ne pouvais pas acheter tous les Bibliothèques rose et verte (rires)… Je le fais maintenant ! Ce n’est pas très sérieux, ce n’est pas mature, mais je le fais !

On m’a demandé si André-Framboise aime toujours la vergeoise. (C’est une private joke ndlr)

André-François Ruaud : (Rires) No comment.

Merci à André-François Ruaud d’avoir répondu à mes questions. Merci à la librairie Critic pour son accueil

RENCONTRE AVEC HERVE JUBERT

HJubertUn pied dans le XIXème, dont il est friand, l’autre vers le futur (que ce soit Internet ou ses projets), Hervé Jubert se confie.

La version sur You Tube

David S. Khara répond à Hervé Jubert (suite à ma question sur Morgenstern) :  » Comme dirait Giscard, vous n’avez pas le monopole du Morgenstern, Monsieur Jubert ! En vrai, je ne savais pas, je suis désolé, honteux, confus, cette histoire va me coûter quelques bières pour me faire pardonner. » (Merci à David d’avoir pris le temps de répondre)

Pour en savoir plus : le blog d’Hervé Jubert
Le blog dédié à Sequana

RENCONTRE AVEC RODOLPHE CASSO

rodolphe-casso

Le nouveau roman paru aux éditions Critic ne passe pas inaperçu. Une couverture qui intrigue, un auteur qui n’a pas la langue dans sa poche. Il n’en fallait pas plus pour que je le rencontre.

Si c’est ton premier roman, tu es un habitué de l’écriture : Gonzai, Marianne, Ecran Total, Mad Movies…. Serais-tu addict à l’écriture ?

Oui, addict. L’écriture me nourris dans tous les sens du terme puisque quinze ans après mes débuts de journaliste, j’arrive encore à payer mon loyer.

L’écrit meurt à petit feu, on pourrait dire que les journalistes sont de zombies en devenir.

La presse écrite est clairement subclaquante et je me sens sur le point d’être zombifié. C’est un vrai problème. C’est Internet qui a tout foutu en l’air, mais il a d’autres vertus. Mais oui, la presse écrite est en voie de zombification (rires)

Sur ces médias, tu parles souvent de musique, tu critiques ouvertement les artistes, mais toujours avec de l’humour. Cette façon de faire te vient il naturellement ?

J’espère et j’aime qu’on le ressente comme çà. Utiliser l’humour c’est déjà une façon de tenir le lecteur. C’est pareil dans la vie. Pour séduire une femme ou se faire un ami, on commence en rigolant. J’ai ce même rapport avec le lecteur. Quand tu fais rire les gens, tu les tiens un peu quelque part. Derrière, il faut que ça tienne la route, mais l’humour c’est un point d’accroche… C’est peut-être même, le seul point d’accroche à mes yeux qui vaille et qui crée des vrais liens.

Article, roman et musique sont sur la même trame : un scénario minimaliste, quelques envolées lyrique, de l’humour et une colère. A quand un Rodolphe Casso apaisé ?

Le fait d’avoir cassé Paris m’a fait du bien (rires)

Tu l’as annihilé...

Annihilé comme tu dis. En tout cas, je lui ai bien refait la gueule. Ca m’a apaisé. Paris, j’y suis né, c’est ma ville, mais j’entretiens un rapport amour/haine avec elle. C’est une ville extrêmement ingrate pour pleins de raisons, notamment des pressions immobilières qui sont insoutenables.
L’écriture me permet de relâcher cette colère, mais il faut le faire de manière mesuré, car une personne qui vocifère, c’est repoussant. Il faut réussir à distiller la colère, avec de bons mots et de manière très ciblée. Pour le reste, la musique, etc. j’ai essayé de mélanger tout ce que j’aimais en terme de discipline artistique. Je me suis lancé des défis. Le personnage de la goule en fait partie. L’autre défi, c’est de créer une bande originale pour mon livre, un peu à la manière d’un film. Je voulais que les gens aient de la musique dans la tête. C’est pour çà que j’ai fait le choix de chansons connues. Les morceaux anglo-saxons ne sont pas connus de tout le monde, mais les chansons françaises, 99% des français les connaissent. C’est un exercice difficile de mettre de la musique dans la tête du lecteur. J’espère avoir réussi.

J’ai l’impression que tu aimes bien tout ce qui est considéré comme cassé (la série z, les clochards)

En fait, j’aime bien la loose, en terme romanesque. j’aime le personnage du « beautiful looser ».C’est attachant un looser. C’est plein de promesses qui peuvent être tenues ou ratées. C’est plein de revanche à prendre sur la vie… C’est émouvant les gens sur lequel le sort s’acharne et qui vont arriver à sortir de leur condition… Ou pas.

Le 7 octobre, le livre PariZ paraît…Mais tu l’as en tête depuis longtemps. Tu as fait un article sur les films Z(et il y a aussi des zombies), en 2014 tu annonces la sortie d’un film meilleur que celui avec Brad Pitt, tu annonces aussi la mort de Davie Bowie qui ne fait que mourir depuis plusieurs années (article écrit avant sa mort) et Jour de Greve sur la Ligne 13  (chanson de son groupe de punk) annonce PariZ. Serais-tu omnubilé par ce thème zombiesque ?

Je suis surtout obnubilé par le thème de Paris. Je suis aussi musicien, j’ai écrit beaucoup de chansons sur Paris qui est un decorum. Le livre est le croisement de mes marottes zombies et post-apocalyptique. Paris est le fil rouge de tout ce que j’ai pu faire ou écrire jusqu’à présent. C’est une ville de légende et un thème inépuisable. Je ne suis pas le premier à écrire dessus, mais pour le coup je voulais apporter ma modeste contribution et lui « péter la gueule ».

Avec PariZ, j’ai l’impression que tu fais un constat de la vie d’aujourd’hui. Il n’y a pas de héros, on essaie de survivre, on rit jaune… C’est une apocalypse neologiste !

Oui, tu n’as pas tort. J’espère qu’on retrouve dans mes personnages  et dans leurs aventures une métaphore de la galère parisienne. La vie a Paris n’est pas simple. Certains disent que Paris, ça se mérite ou ça se paye. Moi je suis piégé car je suis né à Paris. Je suis attaché à cette ville, je n’ai jamais eu envie de vivre ailleurs. Le problème, c’est que c’est compliqué de rester à Paris. Ça coûte cher, c’est très ingrat et il y a une sorte de violence sociale. Effectivement, pour « survivre » à ces états de fait, on vit dans des petits appartements, on paie des loyers exorbitants, on vit chichement, mais on est tout le temps dehors. On boit des coups, on a une vie culturelle extraordinaire, donc c’est une façon de faire contre « mauvaise fortune bon cœur », car c’est une sorte de chance de vivre dans une ville aussi intéressante.

Le lieu des opérations, le métro, me fait penser à Neverwhere (livre de Neil Gaiman ndlr), mais aussi à Subway (film de Luc Besson ndlr).

Absolument, tu mets le doigt dessus. C’est surtout cette dernière référence qui m’a porté sur tous les passages dans le métro. Subway est un de mes films cultes. Je l’ai vu quand j’avais huit ou neuf ans. Pour moi, c’était magique d’imaginer qu’une communauté humaine puisse s’établir dans un endroit aussi pourri et aussi peu hospitalier que le métro. Ce film m’a ouvert des horizons… Ce fut ma première expérience de l’underground, au propre comme au figuré. (attention spoiler) Le personnage de Christophe Lambert, hyper-cool, qui cherche à monter un groupe de rock, alors qu’il est poursuivi par des mecs qui veulent le tuer…  Je trouvais ça génial. Je me disais : »Qu’est-ce que c’est cool de vivre dans le métro et de recruter pour un groupe de rock.  » Cette histoire est folle et géniale. Tous les jours, je pense à Subway quand je prends le métro et régulièrement, je regarde les rails et je vois Christophe Lambert sauter sur les rails… Ca me hante (rires).

Tes personnages sont atypiques et on frise les clichés

J’aime les archétypes. Que ce soit les auteurs ou la littérature de genre, on travaille quelque chose de très codifié et très archétypal. Je voulais des personnages qu’on situe tout de suite. « Mes » Clochards sont de trois générations différentes. il y a un très vieux, qui parle à la Audiard. On ne sait pas quel âge il a, mais il est un peu subclaquant. Il y a La Gachette qui a été enfant soldat au Mozambique. Il a connu une violence extrême. Il est aujourd’hui quadragénaire. Il incarne le personnage de l’immigration, à ma manière. Il y a La Gobe, qui a une vingtaine d’années. Il fait partie de la génération « punk à chiens ». Je voulais montrer aussi que chez les clochards, les sdf, les vagabonds, il existe des profils extrêmement différents.

A part les « héros », il y a un autre personnage. La ville de Paris. Beaucoup de chapitres commencent par une citation sur Paris, entre amour et haine de cette ville.

Je trouvais çà intéressant. La plupart des citations que j’emploie en début de chapitre peuvent former comme un petit roman à elles toutes seules. On peut les lire à la suite et ce serait un beau portrait  de Paris. Les auteurs ne sont pas n’importe lesquels : Balzac, Zola, Baudelaire, Apollinaire, voire Jacques Chirac, qui a été le maire de Paris pendant plusieurs années. C’est une façon de montrer à quel point Paris a inspiré les auteurs. C’est aussi une vision de Paris qui montre une ville telle qu’on la présente peu souvent. C’est une ville violente, à travers son histoire (la révolution française, la commune, ). C ‘est une ville qui a ce paradoxe. C’est une ville qui attire le monde entier, c’est la ville la plus visitée du monde et en même temps, il y a certaines personnes qui arrivent à Paris en pensant qu’ils vont retrouver l’ambiance d’Amélie Poulain( Le film Le fabuleux Destin d’Amélie Poulain ndlr). Elles font des dépressions nerveuses parce que les parisiens sont agressifs, qu’ils volent leurs portefeuilles, etc. J’ai envie de dire aux gens, que Paris n’est pas un parc d’attraction.

C ‘est ton premier roman. Comment s’est déroulé le processus éditorial ?

Pour un premier roman, ce n’est pas toi qui choisis l’éditeur, c’est ton éditeur qui te choisit. Je connais très bien le milieu musical. Quand tu commences, si tu peux être signé, il vaut mieux que ce soit un label indépendant. Une major va te bouffer ou alors ne pas s’occuper de toi. Je connais aussi des auteurs qui ne sont pas contents d’avoir signé chez un gros éditeur parce qu’ils n’étaient pas une priorité et qu’ils se sentaient un peu négligé. Les éditions Critic, ça a été parfait pour moi; Que ce soit le thème, la structure éditoriale, voire la première rencontre avec Simon Pinel. La première prise de contact a été faite au téléphone. Ça a duré plus d’une heure. J’avais quelqu’un qui connaissait son taf, les codes du genre, qui avait compris mon bouquin.. J’ai envie de travailler avec des gens comme çà.

Pariz signifie Paris en Breton. Est-ce une coïncidence ?

C’est vrai ? Je crois qu’on le dit aussi comme çà en Croate, mais en Breton aussi. Tu fais ma journée là. Je signe chez un éditeur breton, ça s’appelle Pariz et ça signifie Paris en Breton ! Magnifique !

Avec ce titre, Vivras tu enfin comme dans une série américaine  (chanson de Rodolphe Casso ndlr)?

Justement non ! Avec ce livre je voulais écrire une histoire de zombie dans un contexte franco-français…. Et parisien. 90 % de l’univers zombie se déroule dans le monde anglo-saxon. Les histoires se passent à Londres, Los Angeles, new York. J’avais envie que mon histoire se déroule en France, dans ma ville. Pour répondre à ta question, je préfère une série française.

RENCONTRE AVEC BABELIO

babelioPour la première fois, l’équipe de Babelio se rendait sur le festival Quai des Bulles. C’était l’occasion de les rencontrer. C’est Guillaume Teisseire, l’un des créateurs, qui a répondu à mes questions.

Retrouvez la plateforme Babelio sur leur site

Merci à Guillaume et à son équipe d’avoir répondu à mes questions.